Europe Écologie - Les Verts et l’Union des fédéralistes européens : la fourberie organisée

, par  John Groleau
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Le samedi 17 octobre 2020, le parti radical de « gauche » (PRG) a tenu sa convention nationale à La Plaine Saint-Denis au 379 avenue du président Wilson [1]. La clôture de la matinée a été réalisée par un ancien Premier ministre présenté de la façon suivante dans le programme de la journée : Bernard Cazeneuve « viendra, fort de son engagement républicain de gauche incontesté et de son parcours majeur, nous apporter une vision des enjeux de la gauche républicaine. » Aucun doute, un éléphant, ça trompe énormément

Mais le plus intéressant, c’est vraisemblablement déroulé dans l’après-midi lors de l’atelier 3 dont le thème fut : « Vers une République fédérale autour des régions ? » [2]. Parmi les intervenants, étaient présents Julien Bayou, secrétaire national d’Europe Écologie - Les Verts (EELV) et conseiller régional d’Île-de-France, ainsi qu’à ses côtés Chloé Fabre, présidente de l’Union des fédéralistes européens (UEF) Île-de-France et vice-présidente de l’UEF-France [3]. L’objet de cet article n’est pas de faire une analyse approfondie – qui serait intéressante, mais trop longue dans le cadre d’un simple article – de l’ensemble des propos tenus par ces derniers ; ceux qui sont habitués à lire ou à écouter la prose fédéraliste ne seront pas surpris, leur argumentaire est bien rôdé… ! Mais justement, dans celui-ci, j’ai souhaité concentrer mon attention sur un seul point, abordé par la représentante de l’UEF, qui fait partie de leurs plus grands tours de passe-passe…

Tout d’abord, écoutons-les avant de continuer… en ayant bien en tête que les galaxies fédéraliste et mondialiste sont notamment des adversaires de la souveraineté populaire et de l’article 1er de la DDHC de 1789 : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune. »



Pour les personnes un minimum averties, aucune surprise à entendre Julien Bayou déclarer : « Évidemment, nous, les écologistes, nous sommes fédéralistes au niveau européen et puis régionalistes ; nous avons une vision profondément girondine de la République ». Rappelons au passage que le fédéralisme européen est l’une des priorités du MEDEF

Par contre, beaucoup de citoyens ne connaissent pas l’UEF, organisation pourtant très importante dans les milieux européistes…

François Mitterrand à Rome, le 18 novembre 1948, au congrès de l’UEF
Image déjà présente dans l’article « Nelson A. Rockefeller : le fédéralisme, pierre angulaire du mondialisme et du libéralisme économique » du 17 février 2013.

Chloé Fabre a donc affirmé : « L’Union des fédéralistes européens, elle a été créée en 1946 par des courants de Résistance […] ». Regardons d’un peu plus près la véracité de ses propos…

Membres du Commissariat général au reclassement des prisonniers de guerre, François Mitterrand (à droite) et Marcel Barrois (au centre) sont reçus en audience par le maréchal Pétain le 15 octobre 1942 à l’Hôtel du Parc, siège du gouvernement de Vichy.

Ces dernières années, j’ai déjà évoqué l’UEF, c’est-à-dire l’Union européenne des fédéralistes. La première fois en 2012 dans l’article « Car le fascisme avait, à son programme, la réalisation de l’Union européenne ». Olivier Philip, l’un des fils d’André Philip, avait écrit en 1950 dans son ouvrage Le problème de l’Union européenne - préface de Denis de Rougemont, dans la partie consacrée à l’Union européenne des fédéralistes, le passage suivant : « Pour eux [les fédéralistes], une seule issue : une véritable représentation nationale émanant de la société organisée dans ses communautés : communes, Églises, professions, syndicats, écoles, familles, etc. Alors seulement le corps social sera en mesure d’influencer de manière organique et constante les décisions d’un État enfin soustrait à l’influence des factions et des féodalités de toute nature. En réalité, on reconnaît là le “pays réel” de Maurras et le corporatisme traditionnel. Aussi n’est-il pas surprenant que certains cercles fédéralistes aient leur origine dans l’Action française et à leur tête des hommes qui ont participé aux ligues fascistes d’avant guerre ou les ont subventionnées. (…). Mais pour comprendre certaines motions, certains discours ou certaines réactions, il sera toujours utile de se souvenir que certains chefs de l’Union européenne des fédéralistes ont également pour objectif de remplacer la représentation parlementaire du suffrage universel par une représentation basée sur les fonctions sociales. » [4]

Olivier Philip donna une « énumération – incomplète – » selon ses propres termes des différents mouvements qui « se sont groupés au sein de l’Union européenne des fédéralistes ». Parmi eux, « La Fédération, mouvement fédéraliste français, avec 15 000 adhérents, est l’un des plus importants, tant en France que hors de France » [5] avec dans sa note de bas de page : « [Où il est dirigé par ?] MM. Max Richard, [Bernard] Voyenne, [André] Voisin ».

Sur le site du « très sérieux » Centre Virtuel de la Connaissance sur l’Europe (CVCE) [6], on peut lire que « L’Union européenne des fédéralistes (UEF) est officiellement créée les 15-16 décembre 1946 au siège parisien [justement] du mouvement français “La Fédération”. » Le CVCE met en avant les acteurs suivants concernant l’UEF : « Parmi les personnalités les plus en vue figurent notamment Henry Frenay, Eugen Kogon, Henri Brugmans, Alexandre Marc et Altiero Spinelli. » Nulle mention d’un certain André Voisin, et nous allons comprendre pourquoi dans un instant…

Rappelons au préalable que dans l’ouvrage collectif, L’argent de l’influence. Les fondations américaines et leurs réseaux européens, Ludovic Tournès avait admis que « s’agissant de la construction européenne, il est frappant de constater que, dès le début du XXe siècle, une fraction non négligeable des interlocuteurs des fondations sont aussi des partisans de l’unification de l’Europe : c’est le cas de Paul Henri Benjamin d’Estournelles de Constant avant 1914, mais aussi, après 1945, d’Altiero Spinelli, de Denis de Rougemont (président du Congrès pour la liberté de la culture de 1952 à 1966), de Robert Marjolin, ou encore de Willy Brandt. » [7] Quant à Henri Frenay, il connaissait très bien Allen Dulles, dirigeant la mission de l’Office of Strategic Services (OSS) à Berne pendant la guerre et qui prendra la tête de l’American Committee on United Europe (ACUE) en 1949, puis la direction de la Central Intelligence Agency (CIA) en 1953. Frenay, dans une lettre au président Roosevelt à l’automne 1942, avait écrit : « j’ai cru, néanmoins, au maréchal Pétain, j’ai cru au double jeu, j’ai cru même à une véritable révolution nationale humaine et sociale » [8]

Ce qui va suivre maintenant s’appuie sur l’ouvrage majeur d’Antonin Cohen, De Vichy à la Communauté européenne, qu’il est indispensable de lire, notamment le chapitre 5 intitulé « De la Révolution nationale à l’Europe fédérale », pour comprendre à quel point le récit, enseigné et distillé par les principaux médias, de la construction « européenne » est l’une des plus grandes fourberies de l’Histoire !

La création de l’UEF s’est donc déroulée au mois de décembre 1946 dans les locaux de La Fédération, « lors d’une réunion présidée par André Voisin ». « Créé en 1944 autour d’un vague Centre d’études institutionnelles pour l’organisation de la société française et de sa “circulaire intérieure” », le mouvement La Fédération « réunit [notamment] des anciens de l’Institut d’études corporatives et sociales (IECS), comme André Voisin, qui continue à soutenir le régime de Vichy jusqu’en août 1944 ». Dans « une première période, qui va de l’automne 1944 à l’automne 1945 », « La Fédération regroupe en effet une large fraction de tout ce que la Révolution nationale a pu compter de soutiens intellectuels, à commencer par son fondateur et président, Jacques Bassot, et son secrétaire général et principal animateur, André Voisin. » Jacques Bassot, « docteur en droit (sa thèse est publiée sous l’Occupation avec une préface de Claude-Joseph Gignoux) », fut un « membre du Parti social français (PSF), proche des milieux monarchistes et du comte de Paris avant-guerre » et « dirige[a] les services parisiens de l’Office des comités sociaux institué par la Charte du travail ». Quant à André Voisin – « son vrai nom est André Bourgeois » – fut lui aussi « membre du PSF », « ancien […] du Courrier Royal (“organe officiel de propagande et de liaison de la maison de France”), il est un temps secrétaire du prétendant au trône Henri d’Orléans en Belgique ». « À partir de juillet 1942, André Voisin dirige le Centre interprofessionnel des commissions de reclassement des prisonniers de guerre et rapatriés présidé par Claude-Joseph Gignoux. À bien des égards, par conséquent, la trajectoire des fondateurs de La Fédération s’enracine dans les milieux monarchistes, à l’intersection des réseaux de l’Action française et du Courrier royal (une publication créée au lendemain du 6 février 1934 à l’initiative de Henri d’Orléans […]), du PSF […] et de la Cagoule… […] Mais surtout, on l’aura compris, il y a un troisième homme derrière les multiples activités de Bassot et Voisin, Claude-Joseph Gignoux, ancien “patron des patrons” ». Celui-ci fut en effet « nommé président de la Confédération générale du patronat français (CGPF) en 1936 – et publie un livre au titre programmatique en 1937 : Patrons, soyez des patrons ! Avec l’instauration du régime de Vichy, il devient membre du Conseil national et du comité consultatif du Centre d’information interprofessionnel (CII), qui prend le relais de la CGPF en 1941. » La Fédération bénéficia « d’un “appui” substantiel de la caisse centrale du patronat grâce au soutien de Claude-Joseph Gignoux et du préfet André Boutemy ». « En 1948, La Fédération rejoint finalement le Mouvement européen (ME) […] et, sur un document destiné à présenter le mouvement aux instances dirigeantes de cette organisation, il se donne un “comité directeur” composé de Jacques Bassot et André Voisin, avec René Bazin de Jouy, Lucien De Broucker, Jean de Fabrègues [ – un ancien de l’Action française et de la Jeune Droite qui occupa des responsabilités officielles sous Vichy [9] – ], Marcel Felgines ou Raymond Marcellin [ – deux anciens de l’IECS – ], mais aussi Robert Aron et Alexandre Marc, ainsi que, par exemple, Claude-Marcel Hytte, Robert Bichet ou encore François Mitterrand ». Parmi les dirigeants de La Fédération, il ne faut pas oublier un certain Louis Salleron, également ancien animateur du Courrier Royal et de l’IECS. « Parrainé par le maréchal Pétain en personne », l’IECS disposait d’un « comité de patronage » qui, à la fin de 1941, comptait parmi ses membres Claude-Joseph Gignoux qui était « titulaire de la chaire d’Économie industrielle » de cet institut.

Après avoir donné ces quelques éléments, on comprend que les fédéralistes européens ont une mémoire très sélective…, comme les écologistes d’ailleurs…

« Le dernier livre de de Rougemont, l’Avenir est notre affaire, est l’expression la plus juste de la nébuleuse écologique. (…). Chouette Denis de Rougemont est avec nous et nous sommes avec lui. » Brice Lalonde

Brice Lalonde et Denis de Rougemont en 1978

L’écologie politique : c’est le retour de « L’Ordre Nouveau » et les métamorphoses d’un fédéralisme européen

En 2012, dans la quatrième de couverture du livre Robespierre, reviens ! d’Alexis Corbière et Laurent Maffeis, il était écrit : « Défendre Robespierre et la Révolution Française n’est donc pas une querelle passéiste, c’est la condition pour bâtir aujourd’hui une gauche tournée vers l’avenir. » Dix ans après, la France « insoumise » d’Alexis Corbière se retrouve à côté d’EELV dans le cadre de la Nupes… Et vingt ans auparavant Jean-Luc Mélenchon, grand admirateur de François Mitterrand, déclarait au Sénat que « Maastricht est un compromis de gauche »… Nous sommes avec cette « gauche-là » très loin du C.N.R. et son attachement au suffrage universel et à l’internationalisme.

Ian Brossat, Sophie Taillé-Polian, Jean-Luc Mélenchon et Julien Bayou le 12 juin 2022

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