« Mitsotakis tu te fais baiser »
Après un hiver sournois qui s’est abattu sur la Grèce et nous a mordu les os, on fait les comptes. Hier, j’ai failli avoir une attaque cérébrale en découvrant ma dernière facture d’électricité : 280€ au lieu de 120€ auparavant. C’est la fin du mois comme la fin d’une époque.
Les médias soumis ont fini par évoquer le sujet avec des reportages sur de pauvres hères au bord du gouffre : « Un restaurateur a entamé une grève de la faim… car il ne peut pas faire face à une telle… exécution électrique ». Un journaliste vedette a donné la parole à une vieille femme : « Elle raconte combien elle a grelotté cet hiver et se met à pleurer en direct, implorant l’aide de l’État ». Le journaliste s’occupera personnellement de son cas, c’est promis. Alors on se dit qu’il y a plus miséreux que soi. L’indignation et la colère font place à l’empathie et la compassion. C’est ainsi que nous autres humains, sommes faits.
On en oublie presque qu’à Athènes, pour la grande majorité d’entre nous, l’hiver c’est se serrer dans la seule pièce qu’on peut chauffer. Et cela, si on a de la chance parce que le chauffage central, lui, a pris sa retraite en 2010.
Bienvenue dans le monde grec nouveau, où l’on paie pour se geler.
La grande braderie avait commencé cette année-là. En 2010, la Grèce a été le premier pays européen livré à la froide mécanique de l’Union européenne et du Fonds monétaire international. Ils lui imposèrent une saignée sans fin, un régime d’austérité si violent qu’il lui arracha ses forces vives. La cure promise comme salvatrice n’engendra que misère et désolation, et, curieusement, une augmentation de la dette en pourcentage du PIB.
On n’avait vu pareil dépeçage des biens publics et privés du peuple grec depuis l’occupation nazie de 1941 à 1944. Une saignée silencieuse et méthodique que le géographe américain David Harvey appelle « accumulation par dépossession ».
Les biens, sont arrachés par la misère ou la contrainte et sont « transmis » à des spéculateurs internationaux qui s’enrichissent en profitant d’un environnement politique favorable.
Pendant ce temps, des familles sont jetées à la rue, des vieux meurent dans l’angoisse, des milliers de petites entreprises déposent le bilan et des enfants grandissent dans la honte d’un pays vendu pièce par pièce.
Maintenant, en 2025, c’est au tour de la France. Les mêmes menteurs en costard, les mêmes discours empoisonnés : « Serrez-vous la ceinture, c’est pour votre bien » car « Nous sommes en guerre ».
Quinze ans après le drame grec, l’Europe semble n’avoir rien appris, ou peut-être n’a-t-elle rien voulu retenir. Les mêmes recettes, appliquées avec la même brutalité, produiront-elles des effets différents ? Ou assiste-t-on, impuissants, à la répétition d’une tragédie annoncée, où le peuple, toujours, paiera le prix du sang pour des calculs qui le dépassent ?
Non, c’est pire : c’est un système qui fonctionne comme prévu. L’Europe n’est pas une erreur, c’est une machine à broyer les gens, une prison des peuples au service des marchés. Et tant que l’on obéira, tant que l’on croira à leurs mensonges, ils continueront à faire payer la crise à ceux qui la subissent.
Après avoir avalé la ciguë de ma facture d’électricité me voilà censé avaler des couleuvres.
Une de ces farces sinistres que les puissants lancent au peuple pour le faire patienter, comme on jette une croûte à un chien affamé.
Le gouvernement grec du premier ministre Mitsotakis, empêtré dans ses promesses creuses, a sorti de sa manche le « panier du ménage » — une liste de produits aux prix soi-disant bloqués, une aumône déguisée en mesure sociale.
Foutaises. D’abord parce que le prix de ces produits augmente aussi ou bien leur quantité diminue dans les paquets, et ensuite parce qu’ils sont trop souvent en rupture de stock.
La réponse insolente de la population ne s’est pas fait attendre et s’est cristallisée en un slogan dorénavant omniprésent : « Mitsotakis tu te fais baiser ». Au point que les chaînes d’information lors de leurs reportages en direct déploient désormais des dispositifs de censure sonore car il y avait toujours un citoyen qui passait par là et criait : « Mitsotakis tu te fait baiser ! ». Cela devenait gênant pour la propagande médiatique du gouvernement.
Pendant ce temps, dans les ministères climatisés, les mêmes hommes en costumes cravatés se félicitent de leur « coup », chiffres à l’appui, devant des caméras complaisantes.
Notons que cette « idée novatrice », est actuellement à l’étude par le gouvernement français. C’est une mesure présentée par la presse parisienne comme « relevant d’une bonne initiative grecque sachant donner l’exemple pour contenir l’inflation ».
Dans certains pays, la cherté de la vie a atteint un seuil tel que l’analyse économique rationnelle est dans l’incapacité d’expliquer comment les citoyens parviennent encore à s’en sortir. Pourtant pour comprendre, il faut juste lever les yeux des courbes lisses et des pourcentages qui dansent sur le papier et observer la réalité crue. Il n’y a pas de miracle. On rogne sur tout, sur le chauffage l’hiver, sur la viande, sur les médicaments. On travaille deux, trois métiers, de longues journées. Les vieux puisent dans leurs maigres économies, les jeunes s’endettent avant même d’avoir vécu.
Et toujours, toujours, l’État est là, la main tendue, prélevant sa dîme sur le peu qui reste.
Certains experts parlent d’un « purgatoire de la croissance ». Il n’y a pas de purgatoire seulement un système pourri qui se décompose. Et ce ne sont pas les fausses statistiques sur une hypothétique croissance inexistante qui remédieront à la récession économique.
La finance a tout brûlé, a tout siphonné et maintenant, elle tremble, en psalmodiant des incantations sur la « reprise » et la « résilience des marchés ». Elle attend le premier choc qui fera s’écrouler le château des dettes qui, à son tour, précipitera l’effondrement.
L’armée devient alors le dernier rempart de régimes sous tension et la guerre, le remède à la morosité de l’économie. Les rapports entre grands capitalistes ne sont faits que de domination, d’écrasement et d’intimidation. Des mœurs de gangsters qui entrent en guerre pour l’omnipotence et l’assujettissement de tous ceux qui leur résistent.
Depuis 2020, la Grèce connaît une militarisation inédite de sa politique intérieure.
Une militarisation rampante de l’ordre public qui n’est qu’un miroir grossissant des tendances européennes.
La loi Kallias (2021) autorise l’armée à intervenir en soutien de la police pour des « crises prolongées » (grèves, émeutes). Des patrouilles mixtes armée/police à Alexandroupolis et sur la rivière Evros, sont officiellement déployées contre les « migrants », mais en réalité sont un test de dispositif anti-insurrectionnel. Alexandroupolis est le port de l’OTAN où arrive une grande partie du matériel et des munitions étasuniennes en direction de l’Ukraine pour perpétuer la guerre. La Grèce est le porte-avions de l’OTAN en Méditerranée orientale avec 10 grandes bases de l’Alliance.
La « menace russe » justifie la surveillance de masse et devient un prétexte à la répression intérieure. Les « pro-russes » et les militants pour la paix sont criminalisés avec 142 arrestations pour « trahison » dont des retraités dans des manifestations anti-OTAN.
Des tribunaux militaires sont réactivés pour juger des manifestants (12 cas en 2022).
Au même moment, en France, on applique l’article 411-4 du Code pénal (« intelligence avec l’ennemi ») contre des militants anti-guerre et on saisit des comptes bancaires d’associations pro-palestiniennes sous prétexte de « lutte contre le terrorisme ».
Parmi les derniers « exploits » de notre premier ministre Mitsotakis, celui d’avoir admis humblement l’installation d’un logiciel espion, le Predator à des fins de « sécurité nationale ». Un eurodéputé, de nombreux hommes politiques, journalistes et fonctionnaires et 15 syndicalistes français venus en solidarité avec les dockers en grève en ont fait les frais.
Le scandale du « Predator » a éclaboussé le gouvernement grec, en 2022, mais l’affaire a été étouffée grâce aux mécanismes judiciaires des instances de l’Union Européenne.
L’État grec, bon élève, façonne la répression intérieure et se connecte au système sécuritaire européen.
« Ce n’est plus du renseignement, c’est une chasse aux sorcières » dira Panagiotis T. (ex-agent de l’EYP - Service National du Renseignement )
12 millions d’euros de financements opaques versés par le Fonds européen pour la sécurité à des « projets anti-extrémisme » sont, en réalité, utilisés contre les mouvements sociaux.
En juillet 2022, un email interne de l’EYP préconise la « Coordination avec Paris de la neutralisation des éléments C-72 avant le sommet de l’OTAN ».
Le code « C-72 » désigne les militants anticapitalistes.
Une « guerre hybride » est appliquée aux citoyens avec des techniques importées du contre-espionnage militaire. Des « agents » provocateurs infiltrent les manifestations.
De fausses attaques à l’explosif sont attribuées à des anarchistes (affaire de la gare de Larissa, mai 2022). Un « sabotage psychologique » fait d’appels anonymes à des militants : « On sait où va ton enfant à l’école », et d’envoi de fausses annonces de licenciement à des grévistes.
La cyber-répression s’intensifie et pirate systématiquement les comptes Telegram des collectifs d’opposants. On publie sur des sites d’extrême-droite des noms et des adresses de manifestants.
Des méthodes similaires à celles du GIPN qui faisait pression sur les familles des Gilets Jaunes ou le « NLP profiling » utilisé par la DGSI pour décrédibiliser les militants écologistes des ZAD.
Une approche qui préfigure le « bio-encadrement », la nouvelle science du contrôle des processus mentaux, réactions émotionnelles et perceptions sensorielles par des signaux bioélectriques.
L’Église officielle grecque est mise à contribution et joue un rôle clé dans la surveillance sociale. Les réseaux paroissiaux sont un outil de renseignement. Les prêtres encouragent les fidèles à signaler les « comportements subversifs » (militants, réfugiés, familles en difficulté, « asociaux » qui n’adoptent pas le discours officiel...). Ces listes noires sont partagées avec l’EYP (Service National du Renseignement). Des monastères sont transformés en centres de stockages de fichiers et l’archevêque Ieronymos, assisté de représentants du gouvernement, bénit publiquement les caméras de surveillance installées dans les quartiers pauvres d’Athènes. « C’est une protection divine contre le chaos » prêcha-t-il sous les applaudissements des officiels.
L’Église finance également les « Clubs patriotiques » un réseau secret développée depuis 2020. Ils ont recruté 5 000 membres (anciens militaires, policiers, militants d’extrême-droite). Leur mission officieuse est la « Surveillance des éléments subversifs » (syndicalistes, militants, opposants).
À Volos, une ville moyenne du centre du pays, un de ces « club » a dénoncé 17 familles à la police pour « activité antinationale ». Leur crime ? Avoir participé à une soupe populaire organisée par des anarchistes.
En France, les « milices citoyennes » de l’extrême-droite ne sont pas structurées différemment.
Après, rien d’étonnant que sur un petit mur bien proche de l’église de mon quartier on lise le slogan à la mode : « Mitsotakis tu te fais baiser ».
La Grèce n’est pas une exception, mais un avertissement.
« Ce qu’on teste aujourd’hui à Athènes, on l’appliquera demain à Paris, Madrid ou Bruxelles ». (Anonyme. Officier de l’OTAN stationné en Crète - base de Souda).
La vraie guerre n’est pas qu’en Ukraine. Elle se joue aussi dans les rues d’Athènes, les banlieues françaises et les ports italiens.
Et partout, l’armée devient l’arbitre ultime.
Quand comprendrons-nous que les « chefs », ne sont que l’émanation toxique d’un corps exogène, une sorte de mannequin mis sur le marché pour faire perdurer, comme en France, « la plénitude du néant ». Ce sont des misanthropes qui se gaussent de « Transhumanisme » parce que la capacité des humains à aimer, à lutter, à danser malgré tout, les répugne.
Parce qu’aussi ils savent que les flics et les militaires sont des humains qui peuvent se retourner contre eux.
Le capitalisme a-t-il atteint ses limites ? Bien sûr que non.
Mais le peuple, lui, atteint, lentement mais sûrement, la sienne.
Avant de rejoindre mes camarades parmi ceux qui ont enfin abandonné la lessiveuse médiatique, je retrouve, comme il se doit mes chiens, toujours aussi intelligents et vaillants.
Je souris en me rappelant du « Mitsotakis tu te fais baiser ».
C’est l’instant présent… et peut-être même l’instinct de survie.
L’humanité ne fut pas toujours impuissante et désarmée quand elle ambitionna de changer de destin. Pour le dire autrement, nous ne sommes jamais « condamnés à vivre le monde que nous vivons ».