Réaction de l’APMEP à la présentation du projet de « réforme » du lycée général par J.-M. Blanquer Communiqué du bureau de l’Association des Professeurs de Mathématiques de l’Enseignement Public

, par  J.G.
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« Dès le 14 février, l’APMEP faisait part de son inquiétude quant à l’absence d’un enseignement de mathématiques dans le tronc commun prévu dans le projet tel qu’il a été présenté par Jean-Michel Blanquer dans un communiqué de presse. Par ailleurs, l’APMEP s’est associée à d’autres composantes de la Commission Française pour l’Enseignement des Mathématiques (CFEM) pour rédiger un texte soulignant la faiblesse de la part des enseignements de sciences relativement aux humanités, pour le tronc commun comme pour les lycéens qui choisiront les parcours les plus scientifiques possibles.

L’enseignement des sciences, des mathématiques en particulier, est un enjeu majeur pour la formation de tous en ce début de 21ième siècle. De nombreux métiers actuels, mais aussi futurs, nécessitent des compétences qui relèvent des mathématiques. Assurer à chacun une formation minimale en mathématiques éviterait de cantonner cette discipline au rang de discipline de sélection. Par ailleurs, la structure du lycée général telle qu’elle a été exposée par le ministre, peut faire craindre que le contenu des enseignements de mathématiques ne soit pas (ou très peu) articulé avec les autres disciplines. La présentation actuelle avec un enseignement de spécialisation en mathématiques auquel s’ajoute deux enseignements facultatifs de “mathématiques expertes” et de “mathématiques complémentaires” pose un problème de cohérence dans les programmes : ils regrouperont des élèves aux projets d’études très différents. Il est donc à craindre que le contenu de la spécialisation en mathématiques reste extrêmement généraliste et peu ambitieux.

Les mathématiques : un enjeu pour de nombreux métiers et pour un fonctionnement démocratique éclairé

Le clivage entre littéraire et scientifique ou entre sciences humaines et sciences “dures” est plus que jamais absurde. L’état actuel de la technologie rend les questions liées aux données, centrales dans de nombreux domaines d’activité : droit, médecine, psychologie, sociologie, économie, géographie, et bien d’autres encore. Il est par exemple essentiel que chacun puisse mener des raisonnements statistiques corrects, sans confondre par exemple une corrélation et une relation de causalité, sans penser qu’une moyenne est représentative d’une valeur pour un échantillon, … Le socle commun de connaissances et de compétences de l’enseignement obligatoire n’est pas suffisant pour saisir tous les enjeux en la matière. Ces arguments sont tout aussi valables pour la maîtrise des règles de la logique sur lesquelles s’appuie la démonstration mathématique. Ces deux exemples ne prétendent pas à l’exhaustivité, de nombreuses notions mathématiques sont utilisées dans les sciences humaines.

Plus généralement, une approche scientifique du monde, faisant appel aux sciences expérimentales comme aux mathématiques, devrait être offerte à tous et relève de la culture générale. Les outils et les méthodes sont spécifiques aux sciences et complètent d’autres manières d’appréhender le monde qui nous entoure, comme les arts, la littérature ou les sciences humaines. Le fait de ne pas proposer d’enseignement obligatoire de mathématiques et de sciences réserve, de fait, ce regard à certains lycéens seulement.

Pour que les mathématiques ne servent plus de discipline de sélection

Aujourd’hui, à l’issue de la classe de seconde, de nombreux lycéens qui ne savent pas exactement vers quel domaine se diriger choisissent la filière S, même quand ils sont plutôt intéressés par les sciences humaines. Cette filière est, de fait, une filière généraliste et peu spécialisée puisque moins de la moitié des horaires d’enseignement concerne les sciences. Cette situation est reproduite dans le projet présenté par le ministre.

Le fait de ne pas assurer un enseignement de mathématiques pour tous les lycéens, créera deux catégories d’élèves : ceux qui choisiront les mathématiques et les autres. Parmi les premiers, certains en seront très heureux, d’autres le feront par contrainte, sans véritable appétence pour la discipline, seulement “par sécurité” ou au détriment d’un autre choix qui correspondrait mieux à leurs goûts. Parmi les seconds, certains le feront en connaissance de cause, en lien avec leur projet d’étude (qui devra alors être déjà assez précis), d’autres le feront plus ou moins par stratégie d’évitement, sans avoir conscience qu’ils hypothèquent leurs chances de réussite dans de nombreuses filières de l’enseignement supérieur, sélectives ou non.

Une telle organisation n’est bénéfique ni aux élèves qui choisissent les mathématiques pour conserver une certaine généralité dans leur formation, ni aux élèves souhaitant bénéficier d’une formation scientifique solide. Nous observons en effet dans la filière S aujourd’hui, combien la tension entre les différentes aspirations des élèves est difficile à tenir. Cette tension a des répercussions fortes à l’entrée dans l’enseignement supérieur et est source de grandes inégalités entre les lycées, entre ceux qui ont suffisamment d’élèves pour organiser un enseignement de spécialistes et les autres. Un enseignement de mathématiques pour tous permettrait d’assurer à chacun une formation suffisante pour ne pas être trop limité dans son orientation à l’entrée du supérieur et d’enrayer les choix “stratégiques” ne correspondant ni à un projet d’études, ni à un goût particulier. Les enseignements de spécialisation en mathématiques pourraient alors reposer, de manière totalement assumée, sur un programme ambitieux pour les lycéens ayant un projet mathématique ou plus largement scientifique.

Une liberté de choix qui risque de ne rester qu’une intention

La disparition des filières au profit d’une certaine modularité est au cœur du projet de J.-M. Blanquer. Cependant, il est impossible que tous les établissements offrent une totale liberté quant à l’association des différentes spécialités. Une offre de formation assez vaste pourra peut-être être proposée dans les plus gros lycées, ou dans les plus grandes villes, mais il est à craindre qu’à certains endroits, dans les territoires ruraux en particulier, l’enseignement de mathématiques ne soit possible qu’en association avec certaines disciplines, recréant ainsi une certaine forme de filières minimalistes et accentuant encore davantage l’offre de formation en fonction de l’établissement de sectorisation des élèves. Certains lycéens pourraient être empêchés de choisir des spécialisations de sciences humaines avec les mathématiques, alors même que cela correspond à des cursus qui tendent à se développer dans l’enseignement supérieur.

Par ailleurs, la possibilité de changer d’enseignement de spécialisation entre la première et la terminale se fera au détriment de la cohérence des parcours… ou ne sera qu’un effet d’annonce sans réalité concrète. Il ne suffit pas de gommer artificiellement les filières pour qu’elles n’existent plus (ni d’ailleurs la hiérarchie entre elles).

L’APMEP reste mobilisée

De nombreuses autres questions au sujet de ce projet de réforme nous interpellent : les filières technologiques, les modalités d’évaluation annoncées pour le baccalauréat général, l’organisation réelle et concrète des enseignements, les contenus des programmes… L’APMEP reste attentive à toutes ces questions, d’autres textes seront certainement publiés dans les semaines à venir pour se faire l’écho des positions des adhérents de l’association. L’APMEP sera aussi attentive aux propositions à venir pour la voie professionnelle. »

Source : https://www.apmep.fr/Reaction-de-l-APMEP-a-la


Une invitation à lire : Selon Cédric Villani, les mathématiques ce n’est pas le truc d’Emmanuel Macron. Et la politique, est-ce le truc de Cédric Villani ?

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