George Steiner : "Plus les muscles de la mémoire sont puissants, mieux l’intégrité du moi est protégée"

, par  J.G.
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George Steiner

Dans le monde d’aujourd’hui, à tous les niveaux, la mémoire est attaquée et détruite. L’américain Henry Ford avait déclaré un jour que "l’histoire, c’est de la blague". Derrière cette pensée, l’objectif du décervelage des Hommes est présent...Des individus sans histoire, sans mémoire deviennent des proies, des marionnettes dans les mains des pervers. "La manipulation perverse, en ôtant aux objets la valeur des signes, en mettant en cause tout travail de signification, aboutit à un non-sens généralisé, base même de la position nihiliste que vit le violent et qu’il induit chez sa victime." [1]

En 2005, par un pur hasard, j’ai découvert l’existence d’un érudit : M. George Steiner. Philosophe, mathématicien, maîtrisant le latin et le grec ancien, parlant parfaitement cinq langues (allemand, français, anglais, italien,...), l’écoute de ses interventions fut un délice et m’a incité à lire deux de ses livres :

 "Maîtres et disciples", éditions Gallimard, 2003
 "Une certaine idée de l’Europe", Actes Sud, 2005

Dans ces derniers, la densité de la réflexion et du savoir est stupéfiante. Je ne suis pas d’accord avec l’ensemble de ses propos dans le deuxième livre cité plus haut, mais il existe tellement de passages intéressants dans ces deux livres que je ne peux pas résister à vous en faire découvrir quelques-uns dont celui-ci sur la mémoire :

« Ecrire induit une négligence, une atrophie des arts de la mémoire. Or, c’est la mémoire qui est "la Mère des Muses", le don humain qui rend possible tout apprentissage...Dans une veine plus générale, ce que nous savons par coeur mûrira et se déploiera en nous. Le texte mémorisé interagit avec notre existence temporelle, modifiant nos expériences autant que celles-ci le modifient. Plus les muscles de la mémoire sont puissants, mieux l’intégrité du moi est protégée. Ni le censeur ni la police ne peuvent extirper le poème mémorisé (témoin la survie, de bouche à oreille, des poèmes de Mandelstam, quand aucune version écrite n’était possible). Dans les camps de la mort certains rabbis et talmudistes étaient connus comme des "livres vivants", dont d’autres détenus, en quête de jugement ou de consolation, pouvaient "tourner" les pages de la récapitulation. La grande littérature épique, les mythes fondateurs commencent à se décomposer avec l’ "avancée" dans l’écriture. Sur tous ces points, la détergence de la mémoire dans l’enseignement actuel est une sombre sottise. La conscience se déleste de son ballast vital. » [2]

[1"La cruauté ordinaire" d’Yves Prigent.

[2"Maîtres et disciples", éditions Gallimard, 2003, de George Steiner.

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