Ratification de la charte européenne des langues régionales ou minoritaires : le choix d’une défaite politique de la France

, par  .Yvonne Bollmann, Tribune libre
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Vous avez dit « culture » ?

Selon les termes du préambule de la charte européenne des langues régionales ou minoritaires, « la protection des langues régionales ou minoritaires historiques de l’Europe, dont certaines risquent, au fil du temps, de disparaître, contribue à maintenir et à développer les traditions et la richesse culturelles de l’Europe ».

Mais la charte n’a pas pour objet principal la culture. Sur le site du Conseil de l’Europe/Bureau des traités, elle figure, de même que la convention cadre pour la protection des minorités nationales, sur la « liste des traités relevant du domaine : Minorités », pas sur la « liste des traités relevant du domaine : Culture » [1].

Capture d'écran - 29/06/15
Capture d'écran - 29/06/15

Il s’agit, par l’appât de son patrimoine linguistique, d’amener la France à reconnaître enfin sur son territoire des minorités ethniques, elles-mêmes dotées chacune d’un territoire et d’une langue propres.

Dans sa Décision n° 99 - 412 DC du 15 juin 1999, le Conseil constitutionnel juge que « la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, en ce qu’elle confère des droits spécifiques à des “groupes” de locuteurs de langues régionales ou minoritaires, à l’intérieur de “territoires” dans lesquels ces langues sont pratiquées, porte atteinte aux principes constitutionnels d’indivisibilité de la République, d’égalité devant la loi et d’unicité du peuple français » [2].

Entretemps, le texte de la charte n’a pas été modifié, et c’est la constitution, paraît-il, qu’il faudrait donc changer. Quel marché de dupes ! Si la France ratifiait la charte, elle renierait son histoire, sa philosophie politique, sa définition non ethnique de la nation. Contrairement à ce que proclament les minimiseurs, ce serait un acte d’autodestruction.

L’Union Fédéraliste des Communautés Ethniques Européennes dans la lice

Une page du site du Conseil de l’Europe consacrée à la charte européenne des langues régionales ou minoritaires [3] permet de voir que ce texte est bien à visée ethniciste : « La Charte est la convention de référence pour la protection et la promotion des langues utilisées par les membres de minorités traditionnelles. Elle est entrée en vigueur en 1998 et confirme, en conjonction avec la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales, la volonté du Conseil de l’Europe de protéger les minorités nationales. » Une preuve supplémentaire en est que parmi les « liens utiles » mentionnés sur cette page figure l’Union Fédéraliste des Communautés Ethniques Européennes, l’UFCE.

Cette organisation apparaît également dans un rapport du 24 mars 2014, sur « la situation et les droits des minorités nationales traditionnelles en Europe » [4], présenté par la Commission sur l’égalité et la non-discrimination de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, où on lit ceci : « Selon l’Union fédéraliste des communautés européennes (UFCE) [5], les 47 États membres du Conseil de l’Europe regroupent quelque 340 minorités autochtones, soit près de 100 millions de personnes. Un citoyen européen sur sept appartient à une minorité. Dans la seule Union européenne, outre les 23 langues officielles de l’Union, on compte plus de soixante langues régionales ou minoritaires. On estime à 40 millions le nombre de locuteurs de ces langues. » (p.8). Une note en bas de page signale que ce chiffre est « tiré de la publication de Christoph Pan et Beate Sibylle Pfeil, “National Minorities in Europe. Handbook”, Ethnos vol. 63, Braumueller, Vienne, 2003 ». L’UFCE, dont Christoph Pan a été le président de 1994 à 1996 [6], semble faire autorité au Conseil de l’Europe.

Le caractère collectif des droits revendiqués par la charte des langues ne saurait être mis en doute après lecture d’un autre passage de ce même rapport : « Le droit d’utiliser librement et sans entrave sa langue minoritaire est consacré par l’article 10 de la Convention-cadre et par l’article 7.1.d de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Les locuteurs de langues régionales et minoritaires sont un atout précieux car ils permettent d’établir un lien entre les personnes. Dans son Commentaire thématique n° 3, le Comité consultatif souligne que “[b]ien que la Convention-cadre protège les droits des individus appartenant aux minorités nationales, la jouissance de certains de ces droits revêt une dimension collective” (paragraphe 3). Comme le précise la Convention-cadre, “certains droits, dont celui d’utiliser une langue minoritaire en public, ne peuvent être exercés concrètement qu’en commun avec d’autres”. » (p.14). Les « locuteurs de langues régionales ou minoritaires » sont donc bien perçus comme des « groupes », il est inutile et trompeur de le nier.

« Union Fédéraliste des Communautés Ethniques Européennes » est le nom en français de la Föderalistische Union Europäischer Volksgruppen (FUEV), créée en 1949, et dont le siège est à Flensburg (Schleswig-Holstein). Le mot « Volksgruppe », apparu dans l’entre-deux-guerres, est si lié à la politique raciale du Troisième Reich qu’il aurait dû rester relégué dans la LTI, la Lingua Tertii Imperii décrite par Victor Klemperer. Aujourd’hui, la FUEV se présente volontiers en version anglaise : Federal Union of European Nationalities (FUEN), d’apparence plus anodine.

La FUEV et la France

En 2015, le congrès annuel de la FUEV s’est tenu du 13 au 17 mai à Komotini (Grèce), auprès de la minorité des « Turcs de Thrace occidentale ». Un objectif en était de les soutenir dans leur combat pour faire reconnaître leur caractère de « minorité ethnique », alors qu’une seule minorité, religieuse, est reconnue en Grèce, celle des « musulmans », protégée par le traité de Lausanne (1923) [7]. Après avoir déploré, dans son discours d’ouverture, l’absence d’un représentant de haut rang de la « population majoritaire », le président de la FUEV, Hans Heinrich Hansen, a évoqué un bref séjour à Kiev, où il a rencontré des « représentants de diverses minorités » : « Nous non plus n’avons pas de solution pour cette crise, mais notre mission commune est de donner une voix aux minorités nationales, aux individus comme aux groupes ». Puis il a parlé de la France, premier des « exemples négatifs » en matière de protection des minorités ethniques et des langues qui leur sont associées, avant la Roumanie, la Grèce, la Turquie [8], comme si son refus de l’ethnicisation du politique agaçait de plus en plus. Parmi les participants, il y avait deux membres du Parti breton / Strollad Breizh [9].

Voici ce qu’a dit le président de la FUEV : « En France, les Bretons sont obligés d’accepter que leur pays natal (Heimat) soit à l’avenir divisé en deux régions. La Heimat des Bretons est de ce fait même démantelée, car les unités administratives sont des instruments puissants, qui s’incrustent dans les têtes. Les Bretons nous ont demandé notre aide, mais nous n’avons rien pu faire, car la France est un État centralisé, et ce qui est dicté à Paris ne tient souvent que trop peu compte des intérêts locaux. Cela touche encore plus durement les minorités. Les Alsaciens sont obligés d’accepter que leur Heimat se fonde dans une grande région France - Est. Leur point de référence n’est plus le même, et leur identité s’en trouve menacée. « Elsass » ou « Alsace » ne perdureront peut-être que sur les étiquettes de bons vins. Les grandes valeurs de la Révolution française que nous lui envions tous, à savoir la liberté, l’égalité et la fraternité, ne laissent visiblement pas de place aux minorités – ni aux Bretons, aux Occitans, aux Allemands (Deutsche) (sic), aux Catalans, aux Basques, ni non plus aux Flamands. Le centralisme parisien menace à présent le maintien de leurs langues. Il y a certes des initiatives régionales destinées à leur sauvegarde, mais qui ne sont pas très efficaces et n’empêchent pas la déperdition culturelle. La France n’a ratifié ni la charte européenne des langues ni la convention cadre pour la protection des minorités [10]. » Sans la soumission à ces textes, il ne serait point de salut !

Dans la Résolution générale adoptée à l’issue du congrès, la FUEV demande au Conseil de l’Europe que ses organismes compétents « continuent d’inciter les États membres du Conseil de l’Europe ne l’ayant pas encore fait à ratifier la convention cadre pour la protection des minorités nationales et la charte européenne des langues régionales ou minoritaires » [11].

L’argent allemand

De par sa fonction de Chargé des questions des rapatriés et des minorités nationales au gouvernement fédéral, Hartmut Koschyk connaît très bien la Föderalistische Union Europäischer Volksgruppen. N’ayant pu se rendre à Komotini pour son congrès, il a envoyé un message de bienvenue aux participants, dans lequel il rappelle sa volonté de voir cette organisation devenir un « phare » pour la protection des minorités en Europe [12]. Il se réjouit de ce que, dans le budget fédéral 2015, une somme qui lui avait été initialement allouée ait été portée à 100 000 euros, et plaide pour l’institutionnalisation de ce soutien financier. Cet argent permet à la FUEV de financer entre autres son congrès annuel [13]. C’est donc d’une certaine façon le gouvernement fédéral qui a subventionné les propos de Hans Heinrich Hansen sur la France, en l’occurrence le Ministère fédéral de l’Intérieur, qui se sent visiblement habilité à gérer l’Europe entière par FUEV interposée, en fonction de critères ethniques, comme s’il s’agissait d’une Allemagne élargie.

Ainsi que l’a signalé Hartmut Koschyk, cet argent public sert aussi au financement d’activités – deux séminaires annuels, l’un « pascal », l’autre « d’automne » – de l’organisation de jeunesse Jugend Europäischer Volksgruppen (JEV) /Jeunesse des Communautés Ethniques Européennes (JCEE). La JEV a remplacé en 1984 l’organisation de jeunesse créée en 1963 par la FUEV, avec qui elle travaille en partenariat. Elle compte 40 organisations membres, dont deux sont françaises : le Elsass-Lothringischer Volksbund Jugendgruppe (Haguenau) et Ar Vretoned Yaouank / Les Jeunes Bretons (Lorient) [14], la section des jeunes du Parti breton/Strollad Breizh. Depuis 1963, plusieurs des « séminaires pascals » de la JEV se sont tenus en France : à Quimper (1966), à Gourin (1974), en Breizh/Bretagne (1979), à Strasbourg (1987), à Ploemeur (1991) [15].

Celui, enfin, qui s’est déroulé à Tarbes en avril 2007, était « en solidarité avec des Occitans », et avait pour thème « la situation particulière des communautés linguistiques régionales en France ». Les « délégués » de la JEV n’ont pas caché « leur inquiétude quant à la protection insuffisante, ou plutôt absente, des communautés linguistiques régionales en France ». Sa vice-présidente a déclaré que « selon l’article 2 de la Constitution française, le français est l’unique langue parlée en France », et que, « la réalité étant différente, les Occitans n’ont pas d’autre choix que de se rassembler en masse pour revendiquer leurs droits » – une injonction nourrie d’hostilité envers la France. Le président de la JEV s’était montré satisfait de ce séminaire : « Nous sommes une organisation en croissance permanente, et nous devons donc sans arrêt adapter nos structures aux nouveaux défis, afin que nous puissions mobiliser le vaste réseau européen que nous représentons, et en utiliser toutes les ressources, l’objectif étant toujours de renforcer notre travail politique. »

Hartmut Koschyk a indiqué qu’une partie des 100 000 euros finance également un séminaire de l’Arbeitsgemeinschaft Deutscher Minderheiten (AGDM), la Communauté de travail des minorités allemandes rassemblées dans la FUEV. Elle fut créée à Budapest en 1991, à l’initiative du Ministère fédéral de l’Intérieur, qui voyait ainsi s’ouvrir devant lui un vaste champ de 27 États, dont la France, hébergeant chacun une « minorité germanophone » aussitôt assimilée à une minorité « allemande » : Arménie, Azerbaïdjan, Belgique, Bosnie - et - Herzégovine, Danemark, Estonie, France, Géorgie, Italie, Kazakhstan, Kirghizstan, Croatie, Lettonie, Lituanie, Moldavie, Pologne, Roumanie, Russie, Serbie, Slovaquie, Slovénie, République tchèque, Tadjikistan, Ukraine, Hongrie, Ouzbékistan et Biélorussie. Une rencontre annuelle des membres de l’AGDM permet d’en recruter de nouveaux, de coordonner les travaux et de dialoguer avec des décideurs politiques [16]. La prétendue « minorité allemande » de France est censée être représentée à l’AGDM par le Elsaß-Lothringischer Volksbund [17].

La caution politique de Frank Walter Steinmeier

Dans son discours d’ouverture, lors du congrès de Komotini, Hans Heinrich Hansen a déclaré que la FUEV était devenu « un passage obligé en matière de politique des minorités ». C’est, dit-il, Frank Walter Steinmeier, le ministre des Affaires étrangères d’Allemagne, qui a exprimé cela le plus clairement, à Berlin, le 26 mars 2015, lors de la cérémonie pour le 60ème anniversaire des Déclarations de Bonn-Copenhague sur les droits des minorités allemande et danoise de part et d’autre de la frontière entre le Danemark et l’Allemagne.

Le ministre a érigé en modèles cette politique des minorités réussie, avec « ses propositions qui résonnent bien au-delà de l’Allemagne et du Danemark », et la ville de Flensburg elle-même, devenue le siège de l’European Centre for Minority Issues. Mais il a omis de dire qu’en une habile et systématique division du travail, l’ECMI agit main dans la main avec la FUEV, sise elle aussi à Flensburg, qui « œuvre pour les droits d’environ 300 minorités nationales en Europe » et dont il a également fait l’éloge. Il a annoncé qu’il veut « se servir de son expertise pour notre politique étrangère », afin d’ « identifier des facteurs importants permettant de désamorcer des conflits entre minorités » [18] – reconnaissant ainsi, non sans brutalité, que l’Allemagne allait continuer de mener une politique encore plus fermement axée sur l’ethnicisation.

Frank Walter Steinmeier a ensuite établi un parallèle avec sa visite en Roumanie le 9 mars précédent, pour une cérémonie à Hermannstadt/Sibiu, à l’occasion du 25ème anniversaire du Forum démocratique des Allemands en Roumanie [19]. Là, comme dans le Nord - Schleswig, il a trouvé une « minorité pleine d’assurance – la minorité allemande – engagée de façon active dans la vie sociale » de son pays de résidence. Son message est que ce que les Allemands ont ainsi réussi à faire, d’autres peuvent y arriver aussi, en Ukraine par exemple. On peut voir dans cette méthode, fondée sur la conception allemande de l’identité, l’outil d’une germanisation des zones de conflits actuels et à venir.

Cela se ferait sur le modèle d’ « une identité allemande au sein de la nationalité roumaine », tel que Klaus Iohannis l’incarne aux yeux du ministre allemand. L’ancien maire de Sibiu devenu président de Roumanie en 2014 a déclaré qu’il est « citoyen roumain, donc Roumain, et Allemand ethnique, d’une germanité ayant à voir non pas avec la République fédérale en tant qu’État, mais avec la langue et la culture ». Nous revoilà confrontés à ce qui inspire la charte européenne des langues régionales ou minoritaires - ce que Frank Walter Steinmeier appelle « l’interaction entre nationalité et identité », la « nationalité » désignant l’appartenance administrative à un État, et l’ « identité » celle qui rattache au groupe ethnique avec sa langue et sa culture.

Conclusion

Par la ratification de la charte, la France se mettrait en situation de subir institutionnellement le harcèlement ethnique dont elle est d’ores et déjà l’objet, et qui s’est intensifié depuis 1990. Pourquoi devrait-elle accepter de se soumettre à la rééducation souhaitée ? Pourquoi devrait-elle renoncer à être un État dont la philosophie politique est a-ethnique, sans minorités ethniques sur son territoire et sans minorités françaises au-dehors ? Face aux conflits ethno-linguistiques d’aujourd’hui, épuisants et destructeurs, régressifs, l’État-nation France est tout simplement d’avant-garde. Pourquoi ratifier ?

Yvonne Bollmann, universitaire, auteur de La tentation allemande (1998), La Bataille des langues en Europe (2001), Ce que veut l’Allemagne (2003)

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