Roparz Hemon dans le nazisme, trois faits
Deux enseignants de Lannion, Alain Prigent et Serge Tilly, ont rendu publiques leurs recherches sur Roparz Hemon, qui figurait, comme ils l’ont découvert, sur une liste d’éléments intégrés (au moins) dans l’activité de la Gestapo. Il est temps, en effet, d’éclairer ce que signifie l’entreprise de réhabilitation de Roparz Hemon, et de la plupart de ses compagnons d’arme.
Dans Le Peuple Breton d’octobre 2000 (journal de l’UDB, Union Démocratique Bretonne), cette publication est mise en cause, tout en avouant, concernant Roparz Hemon :
« Soyons clairs : avec Fanch Eliès, ils ont tous les deux été employés et salariés par les autorités d’occupation. Ce n’est pas sous la contrainte mais volontairement qu’ils ont quitté leur poste de professeur. Cela s’appelle un acte de collaboration ou alors ce mot n’a plus aucun sens » [1].
Rappelons que Roparz Hemon est un dirigeant de Breiz Atao. Diwan, organisation d’écoles en breton, a donné le nom de Roparz Hemon à son collège, près de Brest. Il a été établi que Roparz Hemon était payé par des fonds nazis, pour des émissions de Radio-Rennes (Radio-Paris), que son journal « culturel » Arvor et « l’Institut Celtique de Bretagne » ont été organisés en accord avec les nazis. En août 1944 Roparz Hemon s’est enfui en Allemagne nazie, avec le Bezen Perrot, autonomistes bretons en uniformes SS.
Diwan a également donné le nom de Loeïz Herrieu, collaborationniste du même type, à son école de Lorient : « l’école Diwan de Lorient, baptisée Loeïz Herrieu du nom de cet agriculteur érudit qui avait accueilli favorablement l’arrivée des Allemands en Bretagne en 1940 » [2]. D’après une information parue dans le Courrier des lecteurs du Peuple Breton, Diwan aurait donné celui de De Quelen, associé au Bezen Perrot [3], à une autre école : « De Quelen, condamné à mort qui a pu s’enfuir et est revenu des années plus tard, et dont l’école Diwan porte le nom » [4].
De nouvelles informations, principalement extraites de tout ce que les « autonomistes bretons » ont publié par eux-mêmes, sont ici exposées. Dans ce qui suit, de nombreuses informations proviennent des « Mémoires » de François Debauvais et de sa femme, Anna Debauvais-Youenou (« Fransez Debauvais de Breiz-Atao et les siens, mémoires du chef breton commentées par sa femme » Anna Youenou, tomes 2, 3 et 4 : 1975, 1977 et 1978). Quand Anna Debauvais est citée, cela provient de cet ouvrage. Le décryptage des pseudonymes utilise « Les pseudonymes des Bretons, 16e – 20e siècle » de J. Malo Renault, ouvrage dont la revue d’histoire du « Mouvement Breton », Dalc’homp Soñj, en 1988, se porte garant : « Une dernière œuvre récemment publiée (Le Dictionnaire des pseudonymes bretons) dont il révèle la véritable identité), vient parachever ses travaux et procurer à la recherche un excellent outil de référence et d’investigation. » [5].
Le nazi François Debauvais, Secrétaire de la commission histoire de l’Institut Celtique de Bretagne, entre 1941 et 1943
En fait, la trajectoire politique de Roparz Hemon ne doit rien au hasard. En effet, quand Roparz Hemon prend la présidence de l’Institut Celtique de Bretagne, François Debauvais, nazi reconnu comme tel, en devient le secrétaire de la section Histoire.... C’est ce qu’on découvre en explorant l’ouvrage d’Anna Debauvais. François Debauvais était un des principaux organisateurs et théoricien de Breiz Atao depuis 1919, réorganisateur en 1931 du « Parti National Breton » (PNB) pro-nazi, fasciste, raciste et anti-sémite, et artisan de l’intégration du PNB dans le dispositif nazi, ce qui l’amène à Berlin en 1939-1940. C’est un élément essentiel pour comprendre le repaire de nazis qu’était « l’Institut Celtique de Bretagne », nazis signataires dans Stur, L’Heure Bretonne, Galv, Arvor, La Bretagne, etc…
L’environnement de Roparz Hemon
Anna Debauvais précise le véritable environnement de Roparz Hemon :
« 20.10.1941 – En ce jour fut créé à Rennes le Framm keltiek (Institut celtique) sous la direction de Roparz Hemon et parrainé par le professeur Weisgerber, spécialiste des études celtiques. (… ) L’on confia à Debauvais le secrétariat de la commission d’histoire-préhistoire et archéologie (… ). C’est à ce titre qu’il fera des conférences en breton sur l’histoire et publiera dans Gwalarn un essai sous le pseudonyme de Fanch Denoual » [6].
En effet, dans Arvor du 25 juillet 1943, journal « culturel » de Roparz Hemon, on lit (traduction de Anna Debauvais, les références de page sont dans son ouvrage) :
« Sous la signature de Fanch Denoual, l’hebdomadaire Arvor donne la conférence écrite par F. Debauvais pour “le quart d’heure du Framm keltiek” (section histoire). Comme il souffrait d’une extinction de voix, Jos Youenou lut à sa place l’allocution ci-dessous, à Radio Breiz. » (p. 35) ; « “Comme manuels scolaires d’histoire, citons (… ) celui de Dihunamb (… ). Voilà pour le commun des mortels. Pour les gens cultivés, il y a les excellents articles des revues Gwalarn, Galv, Studi hag Ober, Stur.” » (p. 37) ; « C’est vers la fin du mois de juillet que Debauvais transmit officiellement la présidence du secrétariat de la commission d’histoire-préhistoire et archéologie de l’Institut Celtique de Bretagne, au professeur Roger Hervé, en sa qualité d’historien. » (p. 39) [7].
Les revues Galv et Stur, vantées sur Radio-Rennes, sont caractérisées comme des revues nazies du « mouvement breton ».
Cela est confirmé par Roparz Hemon, dans Gwalarn de mai 1944 :
« Je le savais fort en histoire. Cependant, je fus étonné le jour où il me demanda de prendre la direction de la section d’histoire à l’Institut Celtique, de m’apercevoir du travail immense qu’il avait réalisé en ce domaine. Grâce à lui, nous pouvons ouvrir notre service de recherche sur l’histoire (… ). Il est l’auteur d’articles dont certains furent imprimés dans Gwalarn, sous la signature de Fañch Denoual. (… ) » [8].
Donc, pendant l’occupation nazie, le nazi François Debauvais alimentait en articles « historiques » Gwalarn, la revue « littéraire » de Roparz Hemon.
Roparz Hemon avec Debauvais
Les relations entre Roparz Hemon et le nazi François Debauvais sont effectivement plus qu’étroites. Anna Debauvais relate :
« 16-8-1942 – (… ) Je l’accompagnais au presbytère où il se présenta sous le nom de Fanch Denoual (carte de visite à l’appui), journaliste à l’hebdomadaire Arvor de Rennes, tout joyeux de son stratagème. » [9].
Et il faut préciser que l’on trouve également à l’Institut Celtique de Bretagne les signataires de Stur, la revue nazie du nazi Mordrelle, autre dirigeant essentiel du PNB : Youenn Drezen, Jean Merrien, Abeozen, Berthou, Yann Bricler, “Yann Kerberio” (pseudonyme de Yann Fouéré) [10], Florian Le Roy, Tassel, au moins.
La contribution de Roparz Hemon, du nazi François Debauvais, et de leur entourage nazi à la revue nazie Galv
Pour continuer sur l’association étroite entre Roparz Hemon et François Debauvais, Roparz Hemon est intégré dans la même activité politique nazie que François Debauvais. Le 6 avril 1941 paraît dans Arvor une note de lecture sur Galv, cité dans la conférence sur « l’histoire » de François Debauvais, au côté de la revue nazie de Mordrelle, Stur :
« Il est impossible à un journal comme Arvor d’exposer dans le détail des théories qui ne peuvent convenir qu’à ceux que Roparz Hemon appelle ar Vrientinien, c’est à dire en français, the happy few. » [11].
En français, donc, « les privilégiés », ou « les heureux élus ».
Antisémites
Dans ce numéro d’Arvor, un texte du raciste Gobineau, dont Hitler fait une des sources de Mein Kampf, fait l’objet d’un concours de traduction. Est vanté le groupe « Lan hag Herve » (incluant Xavier de Langlais, Youenn Drezen, Alain Le Louarn, Jean Piette [12] etc… ), signataire dans La Bretagne de Yann Fouéré, dans l’attente des abomination anti-sémites que ce groupe « Lan hag Herve » commettra, en particulier pour appuyer la rafle du Vel d’Hiv du 16 et 17 juillet 1942, en écrivant dans La Bretagne de Yann Fouéré, le 19 juillet 1942 :
« Je vais écrire une lettre au gouvernement français, pour lui proposer de promouvoir l’enseignement du breton dans la France entière s’il veut se débarrasser pour de bon des Juifs et les faire décamper au grand galop ! Ces gens là ne peuvent pas supporter le breton, je te dis » [13]
L’éditorial est signé « F.R.A. », Françoise Rozec-Andouard, alias Meavenn, qui s’enfuira aussi avec le Bezen Perrot, comme cela apparaît dans la relation de Anna Debauvais [14].
Françoise Rozec - « F.R.A. » signe également dans le n° 1 de Galv (et dans les suivants), premier numéro vanté dans Arvor pour les « happy few », à côté de Le Helloco - « Kadwallon – Kadig » (condamné à mort à la Libération), François Elies - « Abeozen » (qui anime Radio-Rennes avec Roparz Hemon), Guillaume Berthou - « Kerverziou » (signataire dans la revue nazie Stur d’Olivier Mordrelle, et personnalité de l’Institut Celtique de Bretagne de Roparz Hemon), au côté d’un texte de Nietzsche, d’une traduction effectuée par Roparz Hemon.
Françoise Rozec - « F.R.A. » - « Meavenn » apparaît dans le « Bezen Perrot », continuateur du groupe terroriste « Gwenn-ha-Du », dont elle est co-fondatrice [15]. Ronan Caerléon, dans son livre « Le rêve fou des soldats de Breiz Atao », décrit sa présence à l’enterrement du « Premier mort au combat » [16] du Bezen Perrot :
« A l’enterrement, le SS Untersturmführer récita des poèmes (… ). Devant le cercueil drapé de gwenn ha du, Mordrel salua le bras levé. (… ) La belle Fant Meavenn, entre autres, avait assisté aux obsèques » [17].
Happy few
Font partie des « happy few » qui souscrivent financièrement publiquement dans le numéro 2 : Roparz Hemon, 20 F ; André Geoffroy (Bezen Perrot), 70 F ; Marc Le Berr, 20 F ; « un milicien », 270 F ; « P.B. », 20 F ; Kongar (Kervella), 20 F ; Camille Le Mercier d’Erm, 20F ; Youenn Drezen, 10 F ; « O.M. » (signature d’Olivier Mordrelle), 1435 F ; F. Even, 20 F [18].
Signeront également dans les « happy few » : Alan Heussaff - « Mab Ivi », Jean Piette - « Arzel Even » (dans le groupe anti-sémite écrivant dans La Bretagne de Yann Fouéré), « Remont » Jestin, Jef Penven, etc… et François Debauvais - « Fanch Denoual ».
Il est essentiel de souligner particulièrement la présence d’Alan Heussaff - « Mab Ivi », adjoint de Célestin Lainé dans le Bezen Perrot, et fondateur de la Ligue Celtique, dirigeant sa revue Carn, où Célestin Lainé, chef du Bezen Perrot, commente le livre de Anna Debauvais en 1976-1977 [19]. En 1986-1988, il écrit dans Le Peuple Breton, journal de l’UDB [20], et y bénéficie en 1999 d’une nécrologie elliptique [21].
François Debauvais, « happy few » de Galv et Roparz Hemon, est aussi l’auteur, en dehors de sa contribution à Galv, d’une « étude sociologique exécutée d’après un plan fourni par les autorités allemandes, afin de mettre au point, de concert avec les Bretons, une mise en valeur de la Bretagne future » [22], publiée par Anna Debauvais.
Le « destin » des races…
Dans cette étude, il est possible « d’exposer dans le détail des théories qui ne peuvent convenir qu’à ceux que Roparz Hemon appelle ar Vrientinien, c’est à dire en français, the happy few. ». On peut donc relever, comme expressions de la pensée profonde de cette fine fleur de l’autonomisme « breton », où Roparz Hemon se retrouve en complète harmonie de pensée :
– « II. - Absence de propagande eugénique en France (… ) Un Juif ou un Nègre devenait Français par un acte juridique. (… ) Un écrivain breton, O. Mordrel, a fustigé cette doctrine : “ (… ) Le mélange des sangs qui est un acte de foi à Paris comme à Moscou serait un crime contre la Bretagne”. (Stur, n° 10, 1937.) Il est donc impossible de découvrir en France une propagande d’eugénisme racial d’origine gouvernementale. » [23]
– « VI. – Valeur raciale des Bretons (… ) Les Juifs (chassés dès le XIIIe siècle par le duc Jean II) n’y sont revenus qu’en nombre infime (1427 Juifs en 1942). (… ) Nous sommes donc en présence d’une race “historique” restée à l’abri du métissage moderne, parfaitement adaptée à son sol. Terre et sang font un. (… ) Grâce à sa situation péninsulaire, qui lui a permis de préserver la pureté de son sang, grâce à la vigueur de sa race (… ) » [24]
– « Conclusion (… ) Une nouvelle élite nationaliste et raciste, surgit du peuple. Une tache de première urgence est le développement de cette élite. Celui-ci pourrait être accéléré par l’envoi dans les universités et écoles de chefs allemands des meilleurs éléments de la jeunesse. (… ) Il y aurait intérêt à ce que des conseillers et des techniciens allemands viennent familiariser les Bretons avec les méthodes modernes d’administration, aux lieu et place des hauts fonctionnaires français. (… ) Mais l’excédent de la population ne pourra être absorbé entièrement et devra être dirigé vers les terres libres de l’est armoricain, espace vital de la Bretagne » [25]
François Debauvais, le compagnon de Roparz Hemon « happy few – ar Vrientinien – heureux élu » (lexique nazi : anglais – « breton-Hemon » – français), mettra en application sa conclusion destinée à faire encadrer par les « techniciens » de la Gestapo l’expansion « raciale » (là encore à « l’est »), grâce à de jeunes SS « bretons » : avant de mourir, il mettra son fils chez les « Hitler-Jugend à Zillisheim » [26].
La swastika, une orientation constante
Anna Debauvais révèle que François Debauvais, au moment de mourir en 1944, donne également la clef de l’apparition de la swastika en 1925, comme insigne de Breiz Atao :
« Camarades de la formation Perrot, je vous salue. (… ) Ce n’est pas parce que nous croyons que l’Allemagne sortira victorieuse du gigantesque conflit, que depuis le premier jour de la guerre nous sommes à ses côtés. Notre choix ne relève pas de l’opportunisme, mais d’une conception du monde commune sur des points essentiels. (… ) La situation est déjà toute clarifiée, en revenant à la politique de Breiz Atao qui était toute de clarté. Cette politique consistait, au point de vue extérieur, à rechercher l’appui allemand. Nous y avons travaillé avec d’autres, pendant près de vingt ans. » [27].
20 ans avant 1944, nous sommes en 1924, un an avant l’adoption de la Swastika. Morvan Marchal (fondateur de Breiz Atao en 1919 et du drapeau « gwen-ha-du » en 1923) écrit un éditorial, jalon clair du tournant de Breiz Atao vers les « Nordiques » à la Swastika :
« le génie latin brisa triomphalement, en un demi-siècle, l’œuvre de six cent ans de travail Nordique. Ce fut la Renaissance (… ) la suppression brutale d’un progrès continu de six siècles (… ) ; c’est la nuit pour l’Intelligence du Nord. (… ) pour faire place à la torche revivifiée des Nordiques. Les Celtes, et particulièrement la Bretagne, ont leur place parmi les porteurs du Feu Nouveau. Ils furent autrefois, face à Rome, les premiers d’entre les Barbares. (… ) nous avons le devoir, par notre passé et par notre tradition raciale de participer à la formidable partie (…). » [28].
Mordrel confirme le caractère nazi de cette idéologie, dans son livre « Breiz Atao », en présentant Von Tevenar, l’agent de liaison avec les nazis, dans les années 1930 :
« Cet idéaliste nous parlait d’un Empire mystique du Nord, qui renouvellerait contre le monde latin et anglo-saxon la vieille fraternité barbare (… ) » [29].
La Barbarie contre la Renaissance. Voilà un programme qui sera appliqué dans les années 1930 et 1940. Voilà la substance donnée au « Gwenn-ha-Du ».
Le « Parti National Breton », « l’Institut Celtique de Bretagne » de Roparz Hemon, l’armée nazie : un milieu unique
La déclaration du nazi François Debauvais que nous venons de lire est un écho de celle de Raymond Delaporte, chef du PNB qualifié de « modéré », en octobre 1941, dans un éditorial de L’Heure Bretonne, au plus profond de la nuit hitlérienne des peuples :
« L’EUROPE VA SE RECONSTRUIRE : la débâcle des armées soviétiques prépare la défaite des Anglo-Saxons. La Guerre se termine à l’Est. Elle se termine par une victoire totale de l’armée allemande. De cette victoire, nous n’avons pas douté un seul instant. Cette conviction absolue, nos écrits le prouvent, nos actes le prouvent. Ce n’est pas sur des renseignements d’ordre technique que cette conviction était assise. Elle s’appuyait, uniquement, sur une certitude d’ordre moral. LA CERTITUDE que la FORCE MATERIELLE ne pouvait pas triompher de L’ESPRIT. (… ) La dernière phase de la Guerre commence avec l’écrasement de la Russie soviétique. Elle marquera pour les Celtes, au côté des autres peuples nordiques, le début d’une nouvelle ère de leur histoire. (… ) L’ERE DE LA CONSTRUCTION D’UNE SOCIETE CELTIQUE. R. DELAPORTE ». [30]
A côté de cet éditorial qui s’étale sur une demi-page, où la « Guerre » sainte hitlérienne bénéficie d’une majuscule, « En dro d’ar FRAMM KELTIEK », l’article en breton qui annonce la fondation de l’Institut Celtique de Bretagne de Roparz Hemon, qui va avoir lieu deux jours après, le 20 octobre 1941 [31].
Hommage à l’armée nazie
Six mois plus tard, la motion finale du deuxième congrès de l’Institut Celtique de Bretagne, à Nantes, en mai 1942, publié dans L’Heure Bretonne stipule :
« Les membres de l’Institut Celtique de Bretagne, réunis en Congrès à Nantes, adressent leur hommage au souvenir des victimes faites en cette ville par les bombardements anglais la semaine dernière. (… ) Ils désapprouvent à nouveau les attentats commis en Bretagne contre l’armée allemande, attentats qui ne peuvent être que l’œuvre d’individus isolés. Le peuple breton a toujours eu le respect des hommes qui ne font que leur devoir. Le Congrès exprime sa foi en l’avenir de la Bretagne dans l’Europe reconstituée d’après guerre. ». [32]
L’application concrète de la mise en œuvre de la « Celtie » nazie définie par Raymond Delaporte et Roparz Hemon ne tarde pas, dans un nouvel éditorial de L’Heure Bretonne :
« L’organisation pratique de l’enseignement du breton. (… ) faire le recensement des instituteurs et institutrices capables ou non d’enseigner la langue bretonne (… ). Cette enquête pourrait être confiée à un organisme qui, comme l’INSTITUT CELTIQUE, posséderait les techniciens et les spécialistes indispensables pour un tel travail, sans pouvoir être accusé d’avoir une quelconque tendance politique (… ) R. DELAPORTE ». [33]
Avant la fondation de l’Institut Celtique, Roparz Hemon avait très clairement défini les objectifs de ce « recensement », dans son journal Arvor :
« Le breton à l’École (...) Les membres de l’enseignement qui n’auront pas satisfait aux épreuves du Trec’h Kentan et du Trec’h Meur dans les délais voulus se verront retirer le droit d’exercer leurs fonctions en Basse-Bretagne » Pendaran, août 1941 [34]
Il ne restait plus qu’à trouver l’équivalent de « l’étoile jaune », chère au cœur de ces gens, à apposer sur les instituteurs rejetés par ce « recensement ».
Sous l’occupation nazie, qui pouvait agir librement, au grand jour, et se développer en étant appuyé par les nazis, sinon les organisations fascistes et nazies ?
Roparz Hemon en juin 1940 à Berlin, avec les nazis François Debauvais et Olivier Mordrelle, pour la constitution d’une milice du PNB, devant être intégrée aux armées nazies d’invasion
En lisant Anna Debauvais, on découvre la présence de Roparz Hemon à Berlin, en juin 1940. Rappelons que François Debauvais était l’artisan de l’intégration du PNB dans le dispositif nazi, ce qui l’amène à Berlin en 1939-1940. Olivier Mordrelle, l’accompagnait, lui qui avait déclaré en 1932 : « Jacobin rime avec Youppin » [35].
Sous le signe de la croix gammée
Il faut constater que la swastika apparaît comme insigne de Breiz Atao en 1925, dans le numéro où Olivier Mordrelle et Roparz Hemon fonde la revue « littéraire » Gwalarn [36].
Soulignons aussi que la carte d’adhérent au PNB de François Debauvais, était marquée de deux croix gammées, comme en témoigne le document photographique publié en 1936 dans le journal L’Excelsior. Cette publication est reproduite dans la revue Bretagne - Ile de France [37]
Examinons ce que déclare Anna Debauvais :
« Jours d’espoir. Miz mae (mai) 1940. (… ) l’armée allemande avait déjà récupéré des prisonniers bretons, qu’elle sélectionnait en vue du plan choisi. (… ) “Nous allons avoir des uniformes spéciaux et prépare-toi à confectionner des drapeaux bretons en masse (… )” » [38].
Le projet d’une « légion bretonne »
Anna Debauvais relate sa discussion avec François Debauvais. Elle explique dans le tome 2 de son ouvrage le plan élaboré avec les nazis par François Debauvais en 1937, et mis en œuvre à partir du congrès de Carhaix de 1937 du PNB. Une partie de ce plan consistait en la « capture » par l’armée nazie des Breiz Atao sur le front, avec mise à disposition de prisonniers bretons en stalag spécial, pour former une « légion bretonne », intégrée aux armées nazies d’invasion : la première forme du futur Bezen Perrot, autonomistes intégrés en 1943 aux troupes nazies contre les maquis.
En effet, Anna Debauvais relate :
« 25.8.1939 – Un militant ne voulant pas se faire repérer au bureau, vint me demander les ordres en cas de déclaration de guerre. “La consigne, dis-je, est de répondre à l’ordre de mobilisation et de se laisser faire prisonnier, en arguant de sa qualité de Breton. Les chefs vous retrouveront dans les camps”. Je ne pouvais lui en dire davantage ni lui dévoiler que nous allions le devancer pour préparer la légion bretonne, capable de délivrer la Bretagne. » [39].
Avec les prisonniers bretons
Le nazi Olivier Mordrelle, compagnon de François Debauvais à Berlin, confirme dans son livre « Breiz Atao » la constitution de troupes auxiliaires des armées d’invasion, en présentant cela comme une proposition d’un officier de l’Abwher, en avril ou mai 1940 (il ne date pas) :
« “Pouvez-vous, demande-t-il, recruter parmi vos prisonniers des éléments sûrs, pour précéder nos colonnes dans leur progression vers la Bretagne et en Bretagne ?” (… ) “Combien de temps nous donnez-vous ?” – “Sans délais.” Il ne pouvait nous faire un plus grand plaisir. » [40].
Ronan Caouissin, dans « Complots pour une république bretonne », confirme les consignes de 1939, permettant la sélection des prisonniers « bretons », planifiée avec les nazis :
« Les leaders du Parti national breton ont donné la consigne à leur adhérents de répondre à la mobilisation générale : “La guerre sera de courte durée, assurent-ils, et la France sera vaincue (… ) Nous nous retrouverons quand le moment sera venu.”. (… ) messages lourds de sens caché (… ) » [41]
Il continue, sur la mise en œuvre du dispositif commun aux nazis et au Breiz Atao, grâce à la débâcle de l’armée française, en mai 1940 :
« (… ) les nationalistes bretons se font connaître aux autorités allemandes. (… ) les officiers ont été informés par une circulaire. Ces premiers prisonniers Breiz Atao (… ) sont reçus (… ) en hommes libres. » [42] ; « Les bretons sont (… ) invités à faire leur déposition sur des imprimés, “Listen für Bretonen” » [43] « “Connaissez-vous Debauvais et Mordrel ? Bien. Vous allez les voir”. » [44]
Gouvernement breton en exil
Avant le départ du premier contingent, le 14 juin 1940, Roparz Hemon apparaît, dans le témoignage d’Anna Debauvais :
« Helloco réussit à passer (...) vers le bureau de Berlin. (...) Puis Kerlann, Kongar, Roparz, vinrent grossir les effectifs du gouvernement breton en exil. » [45].
Cela est écrit après la date du 21 mai 1940, juste avant la date « Miz mezeven 1940 » (juin 1940) [46], et avant le départ du premier contingent, le 14 juin 1940. En arrivant dans les bureaux du « gouvernement breton en exil », Roparz Hemon pourra profiter de l’expérience de « Radio Breiz », faites par les Debauvais et Mordrel, où ils font de la « culture » et du nazisme [47]. La « radio en breton » Radio-Rennes n’est pas sortie du néant.
Anna Debauvais confirme qu’il s’agit bien de Roparz Hemon :
« 17.6.1940 – (… ) De passage au bureau, afin d’y apporter des nouvelles de mon mari, je rencontre des sommités bretonnes, Kongar et Kerlann, transcrivant les noms des prisonniers bretons, d’après les listes communiquées par les stalags. Roparz-Hemon ayant autre chose à faire, m’incite à me joindre aux volontaires pour les aider dans leur travail » [48].
Roparz Hemon en bonne place
Le nazi Olivier Mordrelle confirme, dans son livre « Breiz Atao », cette présence de Roparz Hemon à Berlin, en juin 1940 :
« Après mon départ, un prélèvement fut fait sur Luckenwalde pour monter, à Berlin, dans l’ancien “gouvernement breton” un bureau des prisonniers, qui fut dirigé par Gaonac’h, et eut comme collaborateur Roparz Hemon, Joachim Darsel et Kenan Kongar » [49].
Autre référence, sur Roparz Hemon, donnée par Henri Fréville, historien et ancien maire de Rennes :
« Après le recensement des prisonniers de guerre d’origine bretonne, il devait être transféré dans un camp des environs de Berlin réservé aux Bretons, où il retrouva un certain nombre de militants : Yann Goulet, l’abbé Le Goff, André Geffroy, l’architecte Tassel et quelques autres. » [50].
Ces derniers sont effectivement cités par Anna Debauvais. C’est une confirmation de Henri Fréville. Donc, Roparz Hemon était passé du stalag, spécialement crée pour le recrutement de la milice du PNB, au bureau « du gouvernement breton en exil », selon les termes de Anna Debauvais.
L’armée française effondrée, Anna Debauvais décrit l’utilisation trouvée pour le « contingent », recruté pour l’armée nazie, mais qui n’a pas eu le temps de servir :
« 30.6.1940 - Fred Moyse arrive enfin à Rennes avec cent cinquante hommes, ainsi que Lainé qu’il avait recueilli en route (…). Laissant le contingent à Lainé, qui doit prendre ses quartiers à Pontivy (…) » [51].
On les retrouve effectivement à Pontivy, dans la relation de la « journée de Pontivy » du 3 juillet 1940, publiée par L’Heure Bretonne, journal du PNB (Parti National Breton), qui vient d’être créé :
« Devant le perron monumental, les hommes de Lainé se forment sur trois rangs. » [52].
Anna Debauvais permet de suivre leur cheminement :
« 4.7.1940 - Après la journée de Pontivy, les volontaires du contingent se dispersèrent. Une moitié d’entre eux qui n’avaient pas l’esprit guerrier, rentrèrent dans leurs foyers ; les autres se mirent sous les ordres de Lainé ou rallièrent le central où l’on s’apprêtait à sortir le nouvel hebdomadaire, au titre significatif de l’Heure Bretonne » [53].
Le Peuple Breton contraint de reconnaitre
Pour conforter l’aveu paru dans Le Peuple Breton, voilà donc à quoi Roparz Hemon a « collaboré ». Cela explique qu’on le retrouve fort naturellement parmi les siens, ceux du Bezen Perrot, à Strasbourg, en août 1944. Rappelons ce qui est admis par tous, que Roparz Hemon s’enfuit de Rennes dès les premiers jours d’août 1944, dans un convoi de soldats du Bezen Perrot, habillés en uniforme SS.
Comme le relate Anna Debauvais :
« 20.8.1944 - Au repas de midi, Alix nous plaça Veig et moi près d’elle à la table des Guieysse, père, mère et fille, près de la fenêtre. Les femmes des soldats, leurs enfants, Roparz Hemon et Jos occupaient la grande table centrale du réfectoire. Je les entendais rire et j’aurais voulu partager leur gaieté. (… ) Lainé (… ) était présent (… ). » [54].
Roparz Hemon riait au milieu des nazis du Bezen Perrot… Nazis qui, dans leur équipée avaient laissé une trace sanglante, et sont accusés d’avoir, à Troyes, extrait de leurs prison plus de 40 résistants pour les exterminer.
Anna Debauvais publie son livre en 1977, Henri Fréville publie le sien en 1985. En 1988, dans Dalc’homp Soñj !, un « blanc » elliptique masque l’activité de Roparz Hemon, en juin 1940, dans le Berlin nazi, aux côtés de Debauvais et Mordrel : « La guerre arrive, il est mobilisé, blessé, revient à Brest (… ). » [55].
Roparz Hemon « soigné » par les nazis
En 1990, Per Denez donne une demi-précision : « (… ) il fut blessé à Berck (… ) Après une hospitalisation en Allemagne, il fut renvoyé dans son foyer. » [56]. « Per Denez » (Pierre Denis) commence sa carrière dans Arvor, au côté de Roparz Hemon [57]. Il est, entre autres, vice-Président de l’Institut Culturel de Bretagne en 1999, et connaît donc particulièrement bien Roparz Hemon. Roparz Hemon a donc délaissé les hôpitaux de Berck, dans le Pas-de-Calais, pour être « soigné » à Berlin, à plus de 1000 kilomètres de là. Cela montre le caractère précieux de Roparz Hemon pour les nazis, et est une confirmation de plus du caractère très particulier du « stalag spécial- Bretons », à Berlin.
En considérant
– la collaboration de Roparz Hemon avec les nazis François Debauvais et Olivier Mordrelle dans la constitution de la milice du PNB, à intégrer aux armées nazies d’invasion, en juin 1940 à Berlin ;
– la collaboration de Roparz Hemon et du nazi François Debauvais dans la commission histoire de l’Institut Celtique de Bretagne, entre 1941 et 1943 ;
– la contribution de Roparz Hemon, du nazi François Debauvais, et de leur entourage nazi à la revue nazie Galv ;
quel étonnement peut-on avoir à trouver Roparz Hemon dans les listes de la Gestapo ?
Ceci est en conformité avec le rapport de dénonciation du préfet (pétainiste !) Ripert aux nazis, rapport qui dénonce des Juifs et des Résistants, publié par Henri Fréville en 1985 dans « Archives secrètes de Bretagne » [58], où Roparz Hemon, Yann Fouéré sont cités comme pouvant témoigner devant les nazis, sans qu’il ait été possible de trouver aucune tentative de réfutation de la publication de Henri Fréville. Mais peut-être de telles tentatives existent-elles ?
L’interprétation des documents consultés serait-elle – ce qui ne constitue pas une contre-preuve – niée énergiquement, tout concourt néanmoins, en plus de ces documents, à affirmer, sur la foi de documents multiples et irréfutables, que Roparz Hemon n’était pas seulement un « collaborateur » des nazis. Roparz Hemon était payé par les nazis, vivait avec des nazis, était entouré de nazis, défendait tous les éléments de l’idéologie nazie et de l’activité nazie, mais n’était pas nazi ? Qui peut y croire, sans se réfugier dans des actes de foi ?
Pierrik Le Guennec, janvier 2001
http://regionalismes.info/infos/index.html