Dictionnaire politique portatif en cinq mots. Par Jean-Pierre Faye Démagogie/ Terreur/ Tolérance/ Répression/ Violence

, par  J.G.
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Gallimard (Idées n° 474), 1982. Ci-dessous, quelques extraits de cet ouvrage :

 p. 48 : « La grande révolution qui doit “changer les destinées du monde” va s’énoncer elle-même au cœur de ce mois d’août 89 où s’apaise à peine le tourbillon de la Grande Peur paysanne. Les énoncés qui en dessinent le centre de gravité empruntent leur perspective à Beccaria en effet. C’est vingt-trois ans après le moment où Beccaria est accusé, par un inquisiteur italien, de produire des “socialistes” : socialisti, c’est-à-dire partisans de l’abolition de la peine de mort - et ce mot, comme le signale Franco Venturi, surgit peut-être alors pour la première fois. Les articles 7 à 9 de la Déclaration des Droits culminent dans le concept beccarien de la présomption d’innocence. Et, par elle, ce qu’il y a d’irrationnel et d’inacceptable dans la pratique judiciaire de la torture est montré avec une éclatante évidence.
La Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen n’en est pas moins condamnée en consistoire secret par Pie VI, comme “impie”, dès les premiers jours de sa publication. »

 p. 63 : « Pas plus que Jacques-René Hébert, Maximilien Robespierre ne décide pas la Terreur. Le mot “Terreur”, prononcé d’abord dans l’entourage royal par le ministre Montmorin, puis par les Constitutionnels ou les Feuillants – par Duport – , ensuite par les Girondins – par Vergniaud –, devient soudain chose réelle à partir d’une motion, celle que propose soudain l’abbé Royer, reprise peu après sous forme de décret au cours de la journée du 5 septembre 1793. »

 p. 69 & 70 : « En tombant, Maximilien Robespierre et Antoine Saint-Just font se manifester de façon éclatante la suprématie d’une assemblée souveraine, dont la puissance législative émane de la souveraineté du peuple, sur les membres d’un comité de gouvernement, fussent-ils qualifiés de “gens de la haute main”. Le refus de les laisser parler le 9 thermidor, le silence distant dont s’enveloppe Saint-Just après avoir posé son étrange question – “quel langage vais-je vous parler ?” – deviennent l’attestation de la souveraineté du langage et de sa puissance persuasive, adressée au consentement d’autrui, sur la répression par les armes : le cedant arma togae cicéronien est mis en scène délibérément par leur discours et par leur silence. La pathétique ambiguïté du tout dernier discours robespierriste porte en elle étrangement une exhortation à cette suprématie de l’assemblée souveraine sur les hommes du comité d’exécution : “J’ai promis, reprend-il soudain, de laisser un testament redoutable aux oppresseurs du peuple. Je vais le publier dès ce moment… je leur lègue cette vérité terrible et la mort”. Voici donc ce testament : “Représentant du peuple français, il est temps de reprendre la fierté et la hauteur du caractère qui vous conviennent. Vous n’êtes point faits pour être régis, mais pour régir les dépositaires de votre confiance.” Lu à la lumière de cette journée tragique, pareil discours ressemble à un appel à renverser le pouvoir de celui qui parle.
En fait, cet appel vise à la destitution ou à la démission consentie de l’aile “terroriste” du Comité de Salut public, de Billaud et de Collot – l’homme qui a décidé la mort de Danton et l’homme de la Terreur en province. Et, avec eux, des autres émissaires de la répression provinciale, les “dantonistes” Tallien et Fréron, l’ “hébertiste” Fouché. Leur coalition sera scellée dans la nuit du 8 thermidor, et paradoxalement cette alliance des “terroristes” contre celui qui semble vouloir faire cesser la Terreur, aura pour effet de la terminer en effet. Mais la sombre et confuse journée du 9 thermidor est tout entière placée sous les signes de cette proposition robespierrienne : “les membres de l’agence exécutive seront tenus de rendre compte de leur gestion au corps législatif”. Ou de cet énoncé de Saint-Just : “divisez le pouvoir si vous voulez que la liberté règne”. »

 p. 102 & 103 : « A l’autre bout de la chaîne, voici l’écrasement de la Commune de Paris par les troupes de Versailles, sous l’autorité du “modéré” Thiers. Le récit est de Raspail, député de la Seine, qui n’a pas pris directement part aux événements de Paris : “la véritable enquête” – sur les massacres de Communards par les Versaillais – “n’a pu être faite tant la terreur était grande”. Mais, ajoute-t-il, “maintenant elle peut l’être”. Les faits décrits sont les suivants : “rien que dans l’immense fosse creusée dans… le premier cimetière parisien d’Ivry, il y fut enfoui plus de quinze mille corps… on fit plusieurs autres fosses, et l’on estime qu’elles contenaient six mille autres cadavres, soit en tout vingt-trois mille”. Louise Michel, qui cite cette évaluation, décrit elle-même ce premier camp de concentration des temps modernes qu’est le camp crénelé de Satory, où les officiers de Versailles entassent et tuent les prisonniers de Paris. “De nouvelles prisonnières, arrivant chaque jour, nous disaient : la terreur est plus forte que jamais. Il y avait tant de morts dans les prisons qu’on avaient craint trop de nouveaux cadavres”. D’un côté, les vingt-trois mille morts, chiffre minimum, de la Semaine Sanglante en mai 1871 – mais Louise Michel évoque “les trente-cinq mille officiellement avoués” et ajoute : ils “sont plutôt cent mille et plus”. (“Des conseillers municipaux firent une enquête privée sur les résultats de la répression (…) ; ils arrivèrent (…) à cette conclusion que cent mille ouvriers avaient disparu.”) De l’autre, les quinze cents morts par la terreur des Trente Tyrans, en l’an 404 avant notre ère – dans une cité où l’on compte seulement trente mille citoyens. Et une question se pose : entre ces deux nombres, pourquoi donner une importance singulière, dans une nation de vingt-cinq millions de citoyens, aux 1 376 morts des deux mois de ce qu’il est convenu de nommer la “Grande Terreur”, entre le 10 juin et le 28 juillet 1794 : entre la loi du 22 prairial et les événements du 9 thermidor An II ? »

 p. 106 & 107 : « Le 26 août 1789 est enfin adopté l’énoncé final de la “Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen” : émanation du côté gauche.
C’est pourtant de Duport, l’homme fort de ce côté gauche, que Taine citera cette phrase menaçante : “La terreur ! la terreur ! quel dommage qu’on l’ait rendue nécessaire !” Dans les faits, Taine fera remonter la Terreur à ces journées des 5 - 6 octobre 1789 où les femmes de Paris en quête de pain ont marché sur Versailles, envahi l’assemblée, puis les jardins et le château du Roi, menacé la Reine. Or c’est précisément au soir du 5 octobre que Mounier, président de la Constituante, conduisit au château une délégation de six députés (dont le docteur Guillotin) et de femmes, obtiendra du roi effrayé, au bas de la Déclaration des Droits, cette signature qu’il refusait depuis un mois. Donnant ainsi à l’écriture constituante le sceau du pouvoir exécutif. Ainsi la validité des Droits de l’homme daterait du “premier jour” de la Terreur.
Cette suite de propositions de 1789 condense les plus décisifs des énoncés que la philosophie politique occidentale a pu émettre au cours du XVIIIe siècle tout entier. Ainsi l’article 6 - “la loi est l’expression de la volonté générale” - semble écrit de la main de Rousseau (même s’il a été proposé et rédigé par Talleyrand). Les articles 7, 8 et 9 sur la présomption d’innocence - contre la torture - ont leur provenance chez Beccaria, dans cette clé juridique de la pensée encyclopédiste qu’est la criminologie italienne des Lumières. L’article 14 résume les enjeux de la “Glorieuse Révolution” anglaise de 1689, et du Traité de Locke qui en est le commentaire contemporain. L’article 16 ramasse le principe central de Montesquieu. Le préambule contracte dans le concept de Droit naturel une longue narration juridique qui va d’Ulpien à Isidore de Séville, pour déboucher dans la philosophie anglaise de la “Grande Rébellion” et les “Lumières”. Mais cette énonciation n’est mise en acte dans l’histoire réelle que par la marche des femmes, entre les lieux symboliques de Paris et de Versailles, de l’Hôtel de Ville et du Château.
Si là est l’avènement de la “Terreur”, il faut être attentivement à l’écoute. Car le 9 octobre 1789, la Constituante va voter l’abolition de la question définitive : de la torture. “Etrange façon de questionner les hommes”, disait Voltaire. Même la plus sombre période de la Terreur, dans les années qui vont suivre, exclura en effet la torture. »

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