Tunisie : pas d’élection présidentielle, mais celle d’une Assemblée constituante !
Deux principales tendances s’affrontent actuellement en Tunisie : celle qui préconise le soutien au gouvernement provisoire, afin qu’il puisse préparer des élections présidentielles et une autre qui appelle à la création d’une Assemblée nationale constituante [1]. La deuxième semble être sur le point de l’emporter.
En effet, d’après un ministre démissionnaire, le nouveau Premier ministre tunisien Béji Caïd Essebsi aurait accepté l’idée de la mise en place d’une Assemblée constituante. « M. Caïd Essebsi m’a informé que le gouvernement a décidé de se plier au Conseil de la protection de la révolution. Il n’y aura pas d’élection présidentielle, mais celle d’une Assemblée constituante », a déclaré le mardi 1 mars à la presse Ahmed Néjib Chebbi, ministre démissionnaire du Développement régional [2]. D’après Radio Mosaïque [3], Béji Caïd Essebsi aurait dû annoncer le mercredi 2 mars la création d’une Assemblée constituante pour rédiger une nouvelle constitution, ce qui semble ne pas avoir été le cas.
Il est très difficile de se procurer des informations sur cette question. Dans son reportage du lundi 28 février, le correspondant de France24, David Thomson, a même évoqué l’élection d’une Constituante dès juillet.
Composé de vingt-huit partis, associations et organisations tunisiens, le Conseil national pour la protection de la révolution « a appelé le président de la République par intérim à dissoudre le gouvernement provisoire et à engager de larges concertations "en vue de garantir le consensus national autour du choix du premier ministre et de former un gouvernement provisoire de gestion des affaires courantes, avec pour membres des personnes réputées pour leur compétence et qui ne sont pas impliquées avec l’ancien régime". La mission de ces membres, précise le conseil, prendra fin avec l’élection d’une assemblée constituante et aucun d’entre eux n’aura le droit de se présenter en tant que candidat aux prochaines élections présidentielle ou législatives. […]. Le Conseil s’est également engagé à élaborer un plan cohérent en termes de formules juridiques et pratiques, et de délais, "afin d’élire une assemblée constituante qui se chargera de l’élaboration de la nouvelle constitution de la République et de la gestion de l’étape transitoire, en consécration de la légitimité du peuple" ; ce conseil devant être dissout aussitôt l’Assemblée constituante serait élue. » [4]
En fait, dès le 15 janvier, la question suivante était posée : comment faire avancer la Révolution des jasmins ? Sur Nawaat.org, l’un des principaux sites de la contestation tunisienne, on pouvait lire : « Ainsi, tous n’ont que les mots président et élections à la bouche. Mais le peuple a su montrer qu’il était uni et conscient de sa volonté. Pourquoi ne pas proposer une rénovation constitutionnelle qu’une assemblée constituante se chargerait d’accomplir sérieusement, et cela en vu de fonder notre République sur un pouvoir parlementaire fort et préservé de toute corruption par des instances de contrôle sévère et des punitions exemplaires ? Il est évident qu’il convient d’organiser très rapidement des élections, mais des élections législatives. Il est fini le temps des sauveurs et des héros, nous avons atteints la majorité, nous voulons l’autonomie. Et cela, seule une assemblée législative réelle, capable de former un gouvernement et une assemblée constituante, pourra nous le donner. Avant toute autre chose, il me semble nécessaire de se positionner contre un pouvoir présidentiel fort et de préconiser la discussion, l’acceptation de la multiplicité des points de vue qui existent dans notre peuple. Plus jamais de censure, ni de peur, ni d’exclusion. Que notre République soit réellement la République de tous les Tunisiens comme cette révolution l’a été, celle des riches et des pauvres, des croyants de toutes les obédiences et des non-croyants, des citadins et des ruraux, des intellectuels et des non instruits : la véritable chose publique. » [5]
Un journaliste tunisien exilé en France avait écrit également : « Des élections anticipées ? Un gouvernement de salut public ? D’union nationale ? Ce sont autant d’habillages d’une République en réalité contournée et détournée. Il n’y a pas de garantie. Au contraire, à présent que le besoin en est manifeste, la rue en témoigne tous les jours, place à un débat au sein d’une Assemblée constituante. Les Tunisiens et les Tunisiennes sont les acteurs de leur propre destin. Dans la liberté, l’ordre et la justice, comme les porte le triptyque du pays. » [6]
Actuellement, plusieurs professeurs de droit constitutionnel réclament une Assemblée constituante. Au cours d’une conférence organisée, mercredi dernier, sur le thème : “Pour une assemblée nationale constituante”, « les professeurs intervenants ont indiqué que la crise constitutionnelle en Tunisie n’est pas nouvelle, dans la mesure où ses prémices remontent à “la révision abrogatoire” du 19 mars 1975 qui a octroyé la présidence à vie au président Habib Bourguiba, crise qui s’est accentuée par l’amendement de 2002 qui est en substance une suppression du régime républicain dans le pays ». Selon M. Kais Saied, la violation des articles de la constitution a « consacré “la personnalisation du pouvoir”, rompant ainsi avec les fondements du régime républicain ». De plus, il a souligné « que le pays a besoin d’une nouvelle loi sur les partis politiques et d’organiser les pouvoirs publics sur la base de la volonté populaire et de l’exercice de son plein droit à l’autodétermination » [7].
Des Citoyen(ne)s poursuivent leur sit-in de La Kasbah, réitérant les revendications qu’ils affichent depuis plus d’une semaine, à savoir « la dissolution du gouvernement provisoire », « la mise en place d’une assemblée constituante et la dissolution des Chambres des députés et des conseillers », « la proclamation d’un régime parlementaire » et « la suspension des trois commissions nationales » [8].
Jérémy Mercier, Secrétaire Général de l’Association pour une Constituante, rappelle dans son article La Tunisie en attente d’une Constituante, que : « Véritable clé de la démocratie pour sortir d’une situation de crise politique majeure à l’échelle nationale, l’appel à une Constituante, comme nous l’envisageons également en France, depuis plus de deux années, a relevé, en Tunisie, d’une exigence bien palpable et légitime : sortir de l’impasse du despotisme, vivre en démocratie, restaurer la souveraineté populaire ».
Oui, effectivement, le Peuple tunisien doit prendre le pouvoir. Il est inquiétant de constater qu’un ancien dirigeant de la division Moyen-Orient et Afrique de la Banque mondiale, Mustapha Kamel Nabli, soit devenu le nouveau gouverneur de la Banque de Tunisie [9]. Hamma Hammami, dirigeant du Parti communiste ouvrier tunisien et partisan d’une Assemblée constituante, avait rappelé le 17/01/11 que les directives du FMI et de la Banque mondiale avaient conduit la Tunisie vers le gouffre [10].
Les Citoyen(ne)s tunisien(ne)s percevront-ils rapidement la contradiction entre le pouvoir économique et la liberté politique, comme l’avait vu Robespierre théoricien du droit naturel à l’existence ? « Car il ne s’agit pas de remplacer un pouvoir oppressif par un autre, mais de faire vivre la souveraineté populaire » comme l’a bien souligné André Bellon dans son article L’hiver des peuples.
« Il est temps que le Peuple, foulé et assassiné, manifeste sa volonté pour que la misère elle-même soit anéantie. Qu’il proclame son Manifeste. Qu’il prouve que la démocratie est l’obligation de remplir, par ceux qui ont trop, tout ce qui manque à ceux qui n’ont point assez ! » Gracchus Babeuf, Le Manifeste des Plébéiens
Nous ne pouvons qu’être de tout cœur avec le Peuple tunisien. La Constituante ne doit pas être la chose des partis ou de leurs leaders. Elle doit être la vôtre.
Duodi 12 Ventôse an CCXIX
Article également publié par l’Association pour une Constituante [11].