L’éviction des Indiens par l’Empire américain

, par  J.G.
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Extrait du document [1] de Jacques Leclerc :

« Après que les anciennes puissances coloniales (France, Hollande, Espagne, Grande-Bretagne) furent écartées, il restait encore les Indiens qui avaient des prétentions sur les nouveaux territoires américains. Les autochtones avaient réussi souvent par leurs incursions à inquiéter les agriculteurs, mais ils demeurèrent incapables de contenir le flot ininterrompu d’immigrants qui déferla de l’est vers l’ouest. Chacun des États menait sa politique indienne qui correspondait toujours à l’éviction des Indiens. Puisque le problème se posait à tous les États et dépassait la compétence de chacun, il relevait nécessairement de Washington. C’est d’ailleurs l’une des attributions que la Constitution a explicitement déléguées au gouvernement fédéral.

La politique de refoulement dans l’Ouest

Le Bureau des Affaires indiennes finit par aboutir à la même politique : le refoulement progressif des autochtones vers l’ouest. L’expression couramment utilisée à l’époque pour désigner cette éviction systématique était le "move of Indians" ("déplacement des Indiens"), qui deviendra le "removal of Indians" ("déportation" ou "expulsion" des Indiens). Ces "déplacements" étaient considérés comme nécessaires pour permettre l’ouverture de vastes territoires à l’agriculture, au commerce, aux marchés, à l’argent, autrement dit au développement d’une économie blanche, capitaliste et moderne, pour ne pas parler du développement de la "civilisation". Un article publié dans la North American Review de 1830 justifiait ainsi le déplacement des Indiens : "Un peuple barbare, dépendant pour sa subsistance des produits aussi chiches que précaires de la chasse, ne peut survivre au contact d’une communauté civilisée."

En 1826, un grand pas fut franchi : plus de 70 000 Amérindiens furent transférés d’un coup à l’ouest du Mississippi, laissant disponibles de grands territoires à la colonisation blanche. Cette épisode coûta la vie à environ 4000 Indiens cherokees (25 % de la population) au cours d’un périple empruntant la piste connue sous le nom de "Trail of Tears" (la "piste des Larmes"). Toutes les terres indiennes furent arpentées, cadastrées et subdivisées en parcelles de forme régulière pour être distribuées gratuitement ou vendues à vil prix (soit 1 $ l’acre). Par la suite, d’autres autochtones, dont 22 000 Creeks, 18 000 Cherokees, 5000 Séminoles, etc., furent refoulés par des troupes fédérales encore plus dans l’Ouest jusqu’à leur quasi-extinction. Des milliers d’Indiens moururent de maladies en cours de voyage, avant même d’atteindre leurs terres d’exil.

Le président Andrew Jackson (1829-1837) avait toujours souhaité voir le territoire américain occupé par les colons et s’étendre vers l’ouest sans avoir à se soucier des éventuelles guerres avec les Indiens. C’est pourquoi il avait ordonné l’expulsion de tous les Indiens des États du Sud-Est pour les déporter à l’ouest du Mississippi, tout en leur promettant qu’ils pourraient vivre en paix sans être inquiétés. Son secrétaire à la Guerre, John Eaton, avait fait cette promesse solennelle aux autochtones :

Si vous allez vers le soleil couchant, alors vous serez heureux. Là-bas, vous pourrez vivre en paix et dans la tranquillité. Tant que les rivières couleront et que grandiront les chênes, nous vous garantissons que ce pays sera le vôtre et qu’aucun Blanc ne sera autorisé à s’installer près de vous.

Lorsque Martin Van Buren remplaça Jackson à la présidence, la politique génocidaire à l’égard des Indiens continua de plus bel. Van Buren avait déclaré : "Pas un État ne peut atteindre une culture, une civilisation et un progrès dignes de ce nom, tant que l’on permettra aux Indiens d’y demeurer."

Réserves en 1850

Évidemment, tous les traités furent rompus, qu’ils aient ou non été accompagnés de formules du type "permanent", "à jamais", "pour toujours" ou "aussi longtemps que le soleil brillera".

En 1850, la plupart des Amérindiens avait été refoulés dans l’Ouest, équivalant à environ la moitié du territoire actuel des États-Unis, dans des territoires concédés... temporairement, en attendant que les Blancs poursuivent leur marche inexorable jusqu’au Pacifique.

Les réserves indiennes

Les Amérindiens qui survécurent aux massacres furent concentrés ("parqués") dans des réserves, le tout pour une compensation de 15 millions de dollars. Les territoires "vendus" représentaient environ deux millions de kilomètres carrés, ce qui signifie qu’ils furent "achetés" pour à peu près un dollar le mètre carré. La création des "réserves" avait été pensée dans un but précis : le gouvernement américain croyait ainsi pouvoir éviter les confrontations entre les Amérindiens et les colons blancs à propos des territoires.

Réserves en 1865

Par la même occasion, il espérait sans doute confiner les autochtones dans des zones où il serait possible de mieux les surveiller. En principe, les Indiens étaient généralement libres de vivre à leur guise sur leurs territoires tant qu’ils restaient "pacifiques" et se comportaient en "bons Indiens". Cependant, comme la frontière américaine progressait vers l’ouest, les territoires indiens attirèrent les colons blancs qui estimaient que les autochtones empêchaient leur développement. En 1865, les territoires indiens avaient déjà été considérablement grugés. Précision que ces réserves ne représentaient aucun intérêt économique puisqu’il s’agissait de terres peu cultivables. Néanmoins, elles ont été convoitées lorsque l’économie n’a plus dépendu uniquement de l’agriculture. Faisant fi des traités, les pionniers se livrèrent à des carnages contre les Cheyennes, les Arapahos, les Sioux, les Nez Percés,etc., ce qui équivalait à un véritable génocide.

Quant à l’armée fédérale, elle ne parvint que très rarement à maintenir l’ordre et, de toute façon, elle estimait que sa mission consistait avant tout à défendre les Blancs. Même si les chefs militaires n’ont jamais recommandé l’extermination de Indiens ,certains officiers croyaient, comme tout le monde, que "le seul bon Indien est un Indien mort". Cette phrase restée fut attribuée au général Philip Henry Sheridan (1831-1888), qui ne l’a sans doute jamais prononcée. En revanche, il écrivit ces propos :

Plus nous en tuons cette année, et moins nous devrons en tuer l’année prochaine. Car plus je vois des Indiens, et plus je me persuade qu’il faut les tuer tous ou ne les maintenir en vie que comme des spécimens de pauvreté.

Il semble cependant qu’une telle attitude de la part d’un officier soit demeurée un cas d’exception. De toute façon, la faim, l’alcool et d’innombrables agressions accélérèrent le processus de liquidation des Amérindiens.

Réserves en 1880

À la longue, les réserves indiennes perdirent de leur superficie ou furent déplacées vers des zones moins convoitées. Au cours des années 1880, les zones réservées aux autochtones avaient déjà été réduites à une superficie de 53,4 millions d’hectares, soit une infime partie de ce qu’elles avaient été en 1850. Comme les Indiens arrivaient difficilement à vivre de leurs terres, le Bureau des affaires indiennes s’efforça de leur faire adopter le mode de vie américain. En même temps, la loi Dawes de 1887 allait autoriser l’éclatement des réserves.

Après l’ouverture à la colonisation de la réserve indienne d’Oklahoma en avril 1889, l’homme blanc s’était rendu maître de tout le territoire actuel des États-Unis. Dorénavant, le chemin de fer allait passer partout où l’Indien chassait jadis. La résistance amérindienne était bel et bien terminée.

Après les actes génocidaires, suivirent les campagnes haineuses conte les langues indiennes. Dans de nombreuses écoles américaines, les enfants indiens surpris à parler leur langue maternelle étaient souvent battus, tournés en ridicule ou humiliés. Pour leur plus grand bien, on leur disait d’abandonner leur langue. Même les missionnaires se mettaient de la partie. Ainsi, S. Hall Young, un missionnaire influent en Alaska à la fin du XXe siècle, écrivait :

Nous devrions laisser les anciennes langues mourir avec leur superstition et leur péché et remplacer ces langues par celle de la civilisation chrétienne, obliger les autochtones dans nos écoles à parler anglais, et uniquement anglais. Ainsi, nous aurions bientôt un peuple intelligent qualifié à devenir des citoyens chrétiens.

Young refusa même de traduire la Bible en tlingit, alors que le conseil presbytérien le lui demandait expressément. "Il valait mieux, disait-il, forcer les Tlingit à rechercher Dieu en anglais." D’ailleurs, c’étaient là les directives du Bureau des Affaires indiennes. Ainsi, on pouvait lire dans les règlements cette directives datée de 1880 :

Tout enseignement doit être en anglais, sauf si la langue maternelle des élèves sert de moyen nécessaire pour transmettre la connaissance de l’anglais, et la conversation et les communications entre les élèves et l’enseignant doivent être, autant que possible, en anglais.

En 1884, l’ordonnance suivante a été publiée par le Département d’État pour le Bureau des Affaires indiennes en rapport avec l’enseignement de l’anglais dans une école du Dakota :

Vous informerez, s’il vous plaît, les autorités de cette école que l’on doit apprendre la langue anglaise seulement à tout jeune Indien placé là pour sa formation scolaire et industrielle alors qu’il est à la charge du gouvernement. Si l’on apprend le dakota ou une autre langue à ces enfants, ils seront retirés de l’école et l’appui du gouvernement cessera.

Une autre datée du 14 décembre 1886 : "A toutes les écoles gérées par des organisations missionnaires, il est exigé que l’on donne tout l’enseignement en langue anglaise". Le lieutenant-colonel J. D. C. Atkins, alors commissaire fédéral aux Affaires indiennes, écrivait dans un rapport du 2 février 1887 :

Apprendre aux écoliers indiens leur langue maternelle signifie pratiquement exclure l’anglais et leur empêcher de l’acquérir. Cette langue, qui est assez bonne pour un Blanc et un Noir, doit être assez bonne pour l’Indien. La croyance d’enseigner à un jeune Indien dans son propre dialecte barbare se fait à ses dépens. La première étape qui mène à la civilisation, en montrant aux Indiens la sottise et la folie de leurs pratiques barbares, est de leur apprendre la langue anglaise. L’impraticabilité, voire l’impossibilité, de civiliser les Indiens de ce pays dans une autre langue que la nôtre semble évidente, particulièrement du fait que le nombre d’Indiens vernaculaires est même plus grand que le nombre de leurs tribus.

Mais il a été suggéré que, cette ordonnance étant obligatoire, elle porte un coup cruel aux droits sacrés des Indiens. Paraît-il cruel à l’Indien de le forcer à renoncer à son couteau-scalpeur et à son tomahawk ? Est-ce également de la cruauté que de forcer l’Indien à abandonner la barbare et vicieuse danse du soleil au cours de laquelle il se lacère la chair, danse et se torture même jusqu’à la mort ? Est-ce de la cruauté que de forcer l’Indien à faire instruire ses filles et les marier selon les lois de la terre, au lieu de les vendre à un jeune âge à un prix fixé pour le concubinage afin de satisfaire ses soifs brutales d’ignorance et de barbarie ?
Réserves en 2000

Bref, tous les rapports des fonctionnaires américains exhortèrent les autorités et les agents locaux à enseigner uniquement l’anglais aux Indiens. Il n’existait pas d’élèves indiens dont les cours dans une autre langue que l’anglais étaient maintenus et payés par le gouvernement des États-Unis.

Les Amérindiens ne pourront devenir citoyens américains qu’en 1924, avec tous les droits et les devoirs des autres citoyens. Malgré tout, encore aujourd’hui, les réserves indiennes demeurent sous-équipées et leurs habitants comptent parmi les plus pauvres des États-Unis, avec un taux de suicide de 72 % plus élevé que pour le reste de la population de ce pays. En 2000, les "réserves indiennes" ne représentaient plus qu’un portion insignifiante de ce qu’elles avaient été à l’origine. »

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