Dubaï : Édouard Philippe et la célébration du modèle impérial lors du World Government Summit

, par  John Groleau
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Hier, Édouard Philippe était présent à Dubaï en ouverture du World Government Summit, un « forum sur la gouvernance mondiale considéré comme un "Davos du Golfe" » [1]. Après avoir débuté son allocution en anglais, il l’a continuée ensuite dans la langue de Molière en commençant par deux questions : « Comment bien servir l’État ? Comment, avec cet État, bien servir son Pays ? » Remarquons déjà qu’il ne lui est pas venu à l’idée de dire « Comment bien servir les citoyen(ne)s ? ». S’en ait suivi un raisonnement a priori cohérent, mais infiniment éloigné d’une démarche républicaine, à tel point qu’il est ahurissant et scandaleux qu’un Premier ministre de la République française puisse tenir un tel discours. On peut le mettre en parallèle avec la réhabilitation de Napoléon III par Bernard Accoyer, Président de l’Assemblée nationale, le 12 janvier 2010 [2].

Dans le cadre de son argumentation, le Young Leader de la Fondation franco-américaine - promotion 2012 tout comme Emmanuel Macron - [3], a étalé ses repères historiques, en citant tout d’abord le roi François 1er, puis d’autres conquérants à la tête d’empires : Charles de Habsbourg, dit Charles Quint, et Soliman le Magnifique. En mentionnant le premier, fait-il indirectement écho au séjour de Macron 1er près du château de Chambord en décembre dernier ?

Pour Édouard Philippe, « les grands gouvernants, ceux qui restent dans la mémoire des Hommes, sont ceux qui transforment. Alors bien sûr, restent aussi parfois dans la mémoire des Hommes, ceux qui conquièrent. Mais reconnaissez avec moi qu’en la matière, ceux qui conquièrent en transformant restent toujours plus haut dans la mémoire ». Et là, ô surprise, il prend comme référence Napoléon, auteur d’un coup d’État [4] ; on en reste d’autant plus pantois en considérant qu’il voit d’une certaine façon un aspect positif à une transformation des institutions sous la forme impériale, en mettant également de côté le rétablissement en 1802 de l’esclavage [5], aboli par la Convention montagnarde le 4 février 1794 [6], ce qui aurait pourtant mérité d’être mis en perspective avec l’esclavage moderne à Dubaï [7] !

Selon Édouard Philippe, « la transformation, ce n’est pas la révolution. Et les Français peuvent en parler car en deux siècles ils ont connu à peu près toutes les formes de régime et subi toutes les formes de révolutions ». Il est incroyable de tenir de tels propos en balayant les bouleversements essentiels apportés par la Révolution française ! [8] Celle-ci, avec notamment son principe de la souveraineté populaire, ainsi que son article 1er de la DDHC de 1789 « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune », mais aussi avec le droit naturel à l’existence [9], ne peut pas rentrer dans le contour posé par Édouard Philippe. Celui-ci évoque le fait que « pour pouvoir transformer, il faut à la fois une vision, une méthode et une incarnation » avec nécessairement le « besoin de leaders ».

Sa conception mondialisée qu’il partage avec Macron 1er, contient en particulier cette foi dans le libéralisme économique, combattu déjà sous certaines formes dès la Révolution française [10], avec toutes ces mesures l’accompagnant dans les domaines de l’éducation et des législations autour du travail pour aboutir à la servitude des travailleurs au grand Patronat, ainsi qu’à la dissolution du pouvoir des citoyen(ne)s dans la maîtrise de leurs destins à travers des « réformes institutionnelles » - sur les plans locaux, nationaux et européens - réalisées sans l’aval de ces dernier(e)s.

L’idée de favoriser l’investissement étranger en France en « réformant » la fiscalité et les droits sociaux n’est pas neuve. En 2007, un autre Premier ministre, François Fillon l’avait déclaré : « Nous allons lever tous les handicaps. Nous allons agir à l’automne dans des domaines qui vous tiennent particulièrement à cœur : la fiscalité, le droit au travail » ; « La France n’est pas suffisamment active. Elle travaille moins que les autres pays européens » ; « Son droit social doit être modernisé, simplifié et sécurisé » [11]. Nous avons eu l’occasion de percevoir les résultats d’une telle politique, ce qui semble totalement échapper à Édouard Philippe.

Enfin, il termine son intervention en invoquant Hadrien qui devint empereur romain à l’âge de 41 ans. Macron 1er aura le même âge cette année et il recevra le 10 mai prochain le prix Charlemagne [12]. Cela ne s’invente pas.

Il est plus que temps d’arrêter cette classe politique voyageant dans les sphères de la mégalomanie.


Ci-dessous, le discours d’Édouard Philippe :



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