Hans Globke : l’un des meilleurs exemples de la gestion très discutable du passé par Adenauer

, par  J.G.
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Ci-dessous, un extrait du livre d’Alfred Wahl, La seconde histoire du nazisme. Dans l’Allemagne fédérale depuis 1945 [1]. Il est tiré du chapitre intitulé « La continuité parmi les cadres et services de l’État ».


« En revanche, les attaques réitérées dirigées contre Hans Globke, le plus proche collaborateur du chancelier, n’atteignirent pas ce dernier qui garda Globke dans son entourage immédiat tout au long de ses 14 années au pouvoir. Et, alors que Globke était déjà chef de la chancellerie avec le titre de Ministerialdirektor, Adenauer fit de lui un secrétaire d’État après le succès électoral de 1953. Les attaques contre Globke avaient pourtant débuté dès le début de la République fédérale, entre 1949 et 1951, puis elles reprirent entre la fin de 1955 et le début de 1956 pour devenir permanentes à partir de 1960 : Globke était mis en cause pour son rôle de rapporteur au ministère de l’Intérieur de Wilhelm Frick, en particulier pour les questions juives.

Après l’écroulement du régime, Globke avait été placé dans un camp de détention à Lichtenau en Hesse, jusqu’en décembre 1945. II fut cité comme témoin par l’accusation à Nuremberg, mais aussi par la défense au profit de son ancien ministre Frick et de son chef direct, le secrétaire d’État Stuckart. Mais lui-même ne fut pas accusé de sorte que l’on peut se demander pourquoi il y eut, par la suite, tant d’acharnement contre lui. Disons d’emblée qu’il s’agissait là d’une stratégie politique : attaquer Globke permettait en effet de viser quasi directement Adenauer ; aussi le SPD ne se privait-il pas d’intervenir régulièrement contre lui. Mais il y avait cependant des choses à reprocher à Hans Globke : celui-ci servit effectivement le régime nazi à un poste élevé et déterminant dans le cadre de la politique raciale. À la veille de la guerre, il était Oberregierunsrat, directement sous l’autorité de Stuckart, ce qui prouve qu’il bénéficia d’un avancement significatif grâce au régime nazi puisque, en 1932, il n’était encore que Regierungsrat. Mais, plus grave encore, en avril 1938, Frick, écrivait à propos de Globke :

Il a participé de façon très remarquable à la mise au point des lois énumérées ci-après :
a) La loi sur la protection du sang allemand et de l’honneur allemand du 15 septembre 1935.
b) La loi sur la protection d’une hérédité saine du peuple allemand du 18 octobre 1935.
c) La loi sur le statut des personnes du 3 novembre 1937.
d) La loi sur le changement des prénoms et des patronymes.

Jörg Friedrich, qui rapporte cette citation, ajoute que l’idée de donner les noms d’Israël et de Sara à tous les Juifs venait de Globke. Rapporteur pour les questions juives, Globke aurait ainsi, selon Frick, participé à l’élaboration des lois de Nuremberg. Ce qui fut avancé régulièrement contre lui et pas seulement en RDA. ·

Jusqu’à nos jours, ces dires de Frick ont été récusés par les défenseurs de Globke que constitue le réseau catholique d’Allemagne. En revanche, il est établi que celui-ci rédigea effectivement le commentaire des lois de Nuremberg, en particulier pour ce qui relève des mariages entre Juifs et les sujets de “sang allemand”. Ce commentaire sur la protection du sang allemand fut publié en 1936 sous la forme d’un livre préfacé par Stuckart en personne et Roland Freisler en rédigea une recension très élogieuse. Dans ce commentaire, Globke se montrait excellent technicien, ce qui lui valut les éloges de tous ceux qui étaient appelés à mettre en œuvre la loi. Mais à lire le texte de près, l’on peut constater à quel point il consacra en réalité l’idéologie et les valeurs du régime ; ce que mit d’ailleurs en lumière le livre blanc publié par le DGB. Ainsi, à la page trois de son ouvrage, Globke évoquait “la vieille pensée libérale selon laquelle tous les hommes [auraient été] égaux par nature. Le national-socialisme [signifiait] une rupture par rapport au fondement libéral de l’égalité entre tous […]”. Plus loin, à la page 13, il précisait : “la pensée raciste du national-socialisme implique en outre de rompre avec le principe libéral de l’égalité entre tous les hommes [...].” Et, à la page 16, Globke en arrivait à la question juive : “La loi sur la protection du sang marque la séparation entre le sang juif et le sang allemand sur le plan biologique ...” Il indiquait ensuite que la période précédant le régime nazi avait négligé le sens de la pureté du sang pour conclure : “Puisqu’un grave danger provient seulement des Juifs (Judentum), la loi vise en première ligne l’interdiction de nouveaux mélanges de sang avec des Juifs.” La suite du livre développait ces mêmes idées et l’on voit que Globke exposait l’idéologie raciste et la commentait avec clarté. Dans quel état d’esprit pouvait alors se trouver cet homme contre qui les attaques furent d’ailleurs d’autant plus virulentes qu’il se dit guidé par le catholicisme qui l’avait conduit au Zentrum puis à la CDU ?

Bien plus, Globke eut d’autres fonctions dont nous connaissons mal la nature exacte. Selon le député SPD Adolf Arndt (12 juillet 1950), il avait rempli des missions au service de son ministère et de Stuckart à La Haye, à Metz chez le Gauleiter du Westmark, à Strasbourg chez le Gauleiter Wagner, à Danzig aussi, chez Tiso en Slovaquie, chez Antonescu, en Roumanie enfin. Selon Arndt, lors du déplacement à Strasbourg, la question juive aurait été à l’ordre du jour. Et les adversaires les plus déterminés de Globke croient pouvoir affirmer que certaines déportations de Juifs ont débuté après chacun des passages de celui-ci.

Globke exerça manifestement des responsabilités dans la nazification des territoires annexés ou contrôlés par le régime. Mais il semble qu’il ait surtout été appelé à traiter de questions relevant du statut des habitants, comme au Danemark et en Norvège.

Si le fait que Globke fut condamné à la prison à vie par la RDA, après un simulacre de procès, doit à l’évidence être placé dans le contexte de la guerre froide, il n’en reste pas moins que l’impunité dont jouit ce fonctionnaire modèle constitue l’un des meilleurs exemples de la gestion discutable du passé par Adenauer. Même un député de la CDU, Franz Boehm, évoqua les “stupides illusions” de Globke.

Ce dernier cependant ne se défendit seulement qu’à deux reprises. En 1956, il imputa à son parti, le Zentrum, d’être resté au service des nazis. Il est vrai qu’au cours des premières semaines suivant le 30 janvier 1933, le Zentrum avait envisagé d’entrer au gouvernement de Hitler et n’avait pas combattu celui-ci lors de la phase de négociation du concordat avec le pape. Paradoxalement, Globke fut défendu, dès le début, par le procureur général américain Robert Klemperer et, par la suite, ce fut l’ensemble du réseau catholique, les évêques et les dirigeants de la CDU qui exprimèrent leur solidarité avec lui. Tous proclamèrent ainsi que le commentaire sur les “mariages mixtes [avait] permis de sauver beaucoup de vies”. Et le cardinal Preysing fit savoir que Globke informait régulièrement les évêques sur les projets du ministère de l’Intérieur ; ces évêques prétendant eux-mêmes avoir alors exercé une pression restée confidentielle sur le régime pour que les Juifs fussent ménagés. Mais, par définition, une intervention confidentielle interdit toute vérification : d’ailleurs ce système de défense fut très largement utilisé car il est impossible de vérifier l’argumentation avancée. Aussi, lorsque Globke affirmait avoir réussi à préserver les intérêts des Juifs dans le cas des unions mixtes, rien ne put être prouvé.

Que Globke ait accepté d’assumer sa tâche, dont nous avons vu le contenu racial et idéologique aligné sur les grands principes nazis, est une charge suffisamment lourde. Cet homme incarnait donc bien la continuité avec le régime précédent, mais servait désormais un régime libéral et démocratique. Et l’on peut se demander comment il réussit à gérer personnellement une telle rupture. Sans doute s’agissait-il d’un esprit carriériste et opportuniste, tandis que ce phénomène de continuité avec le régime nazi résultait bien de la volonté d’Adenauer qui, dans ce cas précis, décida en toute liberté de garder Globke à ses côtés. »

Alfred Wahl

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