Zéromacho corrige la Déclaration des droits de 1789

, par  Florence Gauthier
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L’Association Zéromacho a réécrit le texte de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, parce qu’elle aurait été conçue « par des députés qui étaient tous des hommes, et au seul bénéfice des hommes : elle ne s’appliquait ni aux femmes ni aux esclaves ». Le titre devient « Déclaration des droits humains des citoyennes et des citoyens » et tout le texte est adapté en ce sens. Sous le titre « Éléments historiques » on apprend que le vote de cette Déclaration aurait eu lieu « le 27 août 1789 », « en présence du roi » [1].

Capture d’écran - 28 mars 2016


Ces approximations laissent rêveur…
La Déclaration des droits a été votée non le 27, mais le 26 août et sans la présence du roi, qui n’assistait pas aux travaux de l’Assemblée constituante. Pourquoi ? Parce qu’il n’en avait pas le droit : la Déclaration établissait la séparation des pouvoirs et la suprématie du législatif sur l’exécutif. Or, le roi n’était pas un élu du peuple et avait perdu tous ses pouvoirs, depuis le début de la Révolution qui transforma les États généraux en Assemblée nationale constituante.

Après le vote de la Déclaration des droits, le roi rechigna à l’accepter jusqu’à ce qu’une grande manifestation populaire, conduite par des femmes, l’y contraigne aux Journées des 5 et 6 octobre 1789 et le ramène à Paris, pour qu’il s’instruise de la Révolution juridique qui venait de se produire en France, selon l’article 3 de la Déclaration : « Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation ». La royauté avait perdu la souveraineté du royaume et son statut n’était pas précisé : il ne le sera qu’avec l’achèvement de la Constitution en septembre 1791, qui établit une aristocratie des riches et une monarchie constitutionnelle [2].

Combien y eut-il de Déclarations des droits en France ?

Celle de 1789 déclarait des droits naturels de l’homme et du citoyen, se référant à la théorie du droit naturel. Héritée du droit romain, cette théorie s’est recomposée dans l’espace ouest-européen (l’ancien Empire romain d’Occident) à partir du XIIe s.
J’insiste sur la conception de la liberté de droit naturel, tant elle est éclairante à connaître : la chute de l’Empire romain esclavagiste a été l’œuvre du refus conjoint des peuples conquis, des esclaves et des invasions barbares qui, du IIe au Ve s. de notre ère, sont parvenus à conquérir leur liberté personnelle et politique. Le Bonnet rouge des esclaves libérés est devenu l’emblème de cette profonde révolution, tout comme le nom franc, un des derniers peuples barbares qui remporta la victoire finale, perdit sa signification ethnique pour revêtir celle de cette liberté contre l’oppression.
Et puis encore, lorsqu’une forme de féodalité a cherché à imposer le servage aux paysans, elle provoqua une profonde révolte entre le IXe et le XIVe s. Les paysans, les artisans, les villes elles-mêmes revendiquent la liberté personnelle, contre l’esclavage et le servage, et la liberté politique en se donnant des chartes précisant les droits de leurs membres, sous forme de libertés et franchises.

Cette conception populaire du droit, mixée avec la riche tradition du droit romain ainsi remanié, était devenue ici réciproque et s’étendait aux deux sexes : ainsi, dans une communauté villageoise, l’assemblée des habitants des deux sexes administrait le village et l’agriculture, délibérait et votait.
Au XIVe s, la royauté, principalement guerrière jusque-là, comprit que s’offrait à elle l’occasion d’élargir son pouvoir politique : elle se présenta comme protectrice de ces libertés et franchises, en faisant de sa justice le tribunal d’appel pour régler les différends. Elle alla plus loin en s’engageant à défendre ses sujets contre toute tentative de rétablir l’esclavage ou le servage.
Cette constitution monarchique fut la première forme de déclaration du droit naturel de liberté personnelle et politique des sujets du Roi de France, qui emportait le droit de résistance à ces deux formes d’oppression [3].
Il y eut deux Déclarations des droits naturels de l’homme et du citoyen dans le droit constitutionnel français, celle du 26 août 1789 et celle du 24 juin 1793, votée par la Convention, nouvelle assemblée constituante, élue au suffrage universel en septembre 1792.

Quant à celle de 1795 placée en tête de la Constitution du Directoire, elle rompait avec la théorie du droit naturel et instaurait tout autre chose, les droits et les devoirs de l’homme en société, après avoir rétabli une aristocratie des propriétaires…
À partir du Coup d’état de Bonaparte, qui restaura l’esclavage dans les colonies, en 1802, la Déclaration de droits naturels ne fut plus qu’un souvenir en France, jusqu’en… 1946, date à laquelle le Conseil national de la Résistance proposa de rétablir celle de 1789, ainsi que le droit de vote des femmes [4].

La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen n’aurait-elle été écrite qu’au seul bénéfice des mâles contre les femelles ?

Commençons par les États généraux, institution créée par la monarchie au XIVe s, qui réunissait les mandataires de ces communautés déjà évoquées. Or, la monarchie n’avait plus réuni ces États depuis le XVIIe s et mérita d’être qualifiée d’absolue !
En 1789, le roi précisa le mode d’élection du Tiers-état, soit 97% de la population : une voix par chef de feu. Le vote était à deux degrés, les assemblées primaires communales envoyaient leurs députés au chef-lieu de baillage, où les doléances étaient fondues en un seul cahier et les députés, qui iraient à Versailles, élus parmi eux.
Dans les villages, les femmes n’étaient pas exclues des assemblées à cause de leur sexe, je l’ai rappelé, et étaient très souvent chef de feu. Non ! nos arrières-arrières grand-mères ne marchaient pas à quatre pattes…

Cette démocratie populaire s’est répandue avec la Révolution : les assemblées primaires ont été réorganisées en communes et continuèrent de se réunir, de leur propre chef, pour s’organiser et construire une souveraineté populaire effective.
Durant la Révolution, deux courants s’affrontèrent : l’un, démocratique, défendait le maintien des assemblées primaires, à laquelle les femmes participaient, l’autre, favorable à l’aristocratie des riches, fit tous ses efforts pour supprimer ces assemblées primaires.
L’aristocratie des riches parvint à imposer un système censitaire réservant les droits politiques sur critère de fortune, et n’admit aucune femme même riche, avec la Constitution de 1791 : ce fut la première offensive contre les assemblées primaires démocratiques.
Mais, la Révolution du 10 août 1792 renversa cette Constitution et fonda une République démocratique et sociale : la Convention, nouvelle constituante, fut élue par les assemblées primaires.
Tant que la Révolution dura, les femmes participèrent aux assemblées primaires et ce fut avec le 9 thermidor - 27 juillet 1794 qui provoqua la chute de la Montagne, puis la Constitution censitaire de 1795 que l’aristocratie des riches parvint à supprimer le système démocratique et la Déclaration des droits naturels.

Les esclaves étaient-ils en dehors de la Déclaration des droits de 1789 ?

Non, les esclaves et le colonialisme étaient concernés.
Un bref rappel sur le droit romain permettra de saisir la perspective historique : le droit romain définissait le droit naturel de tout être humain de naître libre, mais cette société devenue esclavagiste en vint à contredire ce principe éthique en le soumettant au droit de guerre, qui transformait les prisonniers en esclaves : cette contradiction entre le droit naturel et le droit positif chez les Romains explosa avec la chute de l’Empire, puis le refus du servage au Moyen-âge et permit d’imposer l’éthique du droit naturel au droit positif.
Mais, la découverte du Nouveau Monde incita le roi de France, au XVIIe s, à se tailler lui aussi son empire colonial et à justifier l’esclavage avec l’Édit de 1685…
À nouveau, la Révolution de 1789 rétablit le dispositif médiéval imposant l’éthique du droit naturel au droit positif, comme l’exprime l’Article 1 de la Déclaration des droits : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits » [5].

Cet article déclencha la panique du parti colonial esclavagiste dont les députés s’étaient illégalement infiltrés dans l’Assemblée constituante à l’occasion du Serment du jeu de Paume. Ils écrivirent aux colons de Saint-Domingue, en janvier 1790, que la Déclaration des droits était éminemment dangereuse et la qualifièrent même de terreur des colonies, à cause de cet article : ils exprimaient le thème de la contre-révolution qui lutta pour se débarrasser de ce texte dès qu’il fut voté !
De leur côté, les esclaves s’intéressèrent à la Déclaration des droits et se l’approprièrent en ouvrant le processus anticolonialiste de la Révolution de Saint-Domingue/Haïti. Puis, la Convention montagnarde soutint la Révolution des esclaves alliés aux libres de couleur, et abolit l’esclavage dans les colonies françaises le 4 février 1794, ouvrant une expérience de décolonisation, que le 9 Thermidor interrompit.
La contre-révolution parvint alors à supprimer la référence aux droits naturels, comme je l’ai rappelé, avec la Constitution de 1795 puis le rétablissement de l’esclavage par Bonaparte en 1802. Mais Bonaparte fut battu, après avoir provoqué l’Indépendance de la République d’Haïti en 1804 [6].
On l’a compris, la conquête d’un nouvel empire colonial français se fit, de 1802 à 1946, sans Déclaration des droits naturels…

D’où vient cette légende d’une Déclaration des droits des mâles esclavagistes ?

La supposée misogynie de la Déclaration de 1789 est récente et vient d’une « féministe » des USA, Joan Scott [7] qui veut lire homme comme mâle, faisant preuve d’une double ignorance, celle de l’histoire que je viens de rappeler et de la grammaire française qui utilise comme nous le précisent les dictionnaires, l’emploi du mot homme pour désigner soit le collectif genre humain soit l’individu homme.
Zéromacho a repris ces ignorances, mais a aussi la volonté d’introduire les spécificités identitaires comme moyen de promouvoir l’égalité en droits entre les deux sexes. Est-ce une bonne méthode ?
- La diversité identitaire est illimitée, comme celle des esprits et des opinions et c’est un droit, celui de la liberté d’expression qui ne peut être ni empêché ni s’imposer aux autres. Nous sommes ici dans la réciprocité du droit de liberté personnelle et Zéromacho ne peut donc imposer son opinion sans la violer.
- Mais, Zéromacho invente une Déclaration de 1789 faite par des députés qu’il enferme dans une spécificité identitaire de mâles esclavagistes, qui est erronée.

Est-on condamné à cloitrer l’humanité en identités spécifiques, qui se feront éternellement la guerre pour faire dominer leur opinion ?
Non, on a pensé mieux : l’unité du genre humain rassemble ce qui est commun à chacun de ses membres, en termes de droits, afin de mettre fin à la guerre permanente des opinions, parce qu’elles veulent s’imposer. L’idée de réciprocité du droit signifie : je possède un droit, chaque être humain sans distinction le possède aussi et voici l’égalité en droits du genre humain et le devoir de chacun de respecter ce même droit chez l’autre.
Ainsi, Zéromacho doit accepter le droit de liberté d’opiner sans chercher à imposer son opinion, afin de respecter l’universalité de ce droit, ou si l’on préfère la diversité illimitée des esprits, des croyances et des opinions, propre au genre humain.

Article également publié par revolution-francaise.net.

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