Utilisons notre capacité cérébrale !

, par  Christian Darlot, Tribune libre
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Dans un article "Triplons notre capacité d’accueil !" (Le Monde 1er mars 2011 [1]), M. Pierre Tapie, au nom de la Conférence des Grandes Écoles, ambitionne de tripler le nombre d’étudiants étrangers en France et disserte sur le bénéfice escompté. Tous comptes faits, une condition serait indispensable "il faut accepter qu’une partie significative des enseignements puisse être donnée en langue anglaise et abolir la loi Toubon [sur l’usage de la langue française] dans l’enseignement supérieur".

M. Tapie est un humaniste et même un gastronome : familier des fromages, il commence par le rituel couplet sur l’art de vivre en France. L’Europe multilingue reçoit aussi son coup de chapeau, et c’est pourquoi il veut imposer une langue unique. Certes, dit-il, la France est le 3e pays du monde pour l’accueil d’étudiants étrangers, mais beaucoup sont francophones. Défaut à corriger car la compétition est rude. Selon M. Tapie, tripler le nombre d’étudiants étrangers, pour atteindre le tiers du total, aurait pour vertu cardinale d’intensifier la concurrence entre les étudiants. A cette fin, il veut que les études deviennent pour les étrangers aussi coûteuses en France que dans les pays anglo-saxons. Mais, bienveillant, il propose que les plus fortunés paient plus dans ces supermarchés universitaires, afin que des bourses soient données à des pauvres choisis "sur des critères sociaux et/ou de mérite".

L’incohérence n’arrête pas l’auteur : pour renforcer l’influence française dans le monde, il veut aligner la France sur les pays anglo-saxons. Ce discours reflète l’idéologie de marchandisation générale. Pas besoin d’être grand clerc pour comprendre les périls.
1/ Ce projet achèverait de désorganiser l’université en créant un secteur marchand et un secteur public, un secteur étranger et un secteur national.

2/ Une fois la loi Toubon abrogée, l’enseignement payant en anglais proliférerait, et des professeurs de langue maternelle anglaise seraient embauchés plutôt que des professeurs de langue française. Les familles seraient incitées à demander que l’enseignement secondaire fût donné en anglais, afin de préparer leurs enfants à l’enseignement supérieur.

3/ La destruction des restes de l’égalité républicaine aggraverait le malaise social, que M. Tapie, muré dans son milieu social, ne perçoit pas.

4/ L’enseignement en anglais sonnerait le glas de la francophonie, en indiquant clairement aux pays dont le français est la langue de communication que la France elle-même renonce à sa langue. Leurs citoyens, instruits en français, perdraient le bénéfice de leur formation, et une formidable pagaille serait mise dans l’enseignement de ces pays. Bien sûr leurs liens avec notre pays se rompraient, et le nombre d’étudiants étrangers diminuerait vertigineusement.

5/ Si un gouvernement acquis aux intérêts financiers mettait en œuvre ce projet calamiteux, l’influence de la France dans le monde disparaîtrait en même temps que sa civilisation. Or c’est le modèle de société anglo-saxon qui est en défaut, puisque la crise résulte de la domination financière, imposée au moyen du libre-échange total et même de la guerre.

Sous un discours mercantile, M. Tapie prône un bouleversement politique, se montrant ainsi bien de son temps puisque c’est sous prétexte de nécessité financière que des régressions de civilisation sont imposées depuis des années aux peuples d’Europe. Face à cette attaque, on s’interroge sur l’intention de l’agresseur. Certes, M. Pierre Tapie a besoin de se faire un prénom, mais ne s’agirait-il pas plutôt d’offrir un nouveau marché aux banquiers, celui des étudiants endettés ? D’étendre le bassin commercial de l’enseignement à la place du service public ? Au moins M. Tapie illustre-t-il la sagesse de la culture classique ; son rêve de grappiller des droits d’écolage porte aussi loin que celui de Perrette et mène au même résultat : adieu vache, cochon, couvée. Reste le veau.

Il y a un siècle, la règle du couvent des oiseaux était que la famille de chaque jeune fille aisée entretenait une pauvresse. M. Tapie (Pierre) a étudié à l’Institut catholique, mais s’est bien reconverti puisqu’on ne sache pas que concurrence et âpreté au gain fussent des vertus évangéliques. M. Tapie dit que la France est une "terre de ruptures", et c’est pourquoi sans doute il veut la rupture de la société et la ruine de l’esprit républicain.
La tradition à rompre d’urgence est celle de l’arrogance des arrivistes.

Ce qu’il faut faire est rendre toute sa place à l’enseignement des connaissances à l’école, revigorer la diffusion scientifique en français, et restaurer l’enseignement du français à l’étranger, que le pouvoir en place ruine. L’enseignement est au service du peuple, de sa clarté d’esprit, de sa cohésion, de sa volonté d’égalité et de justice. Il sert aussi la coopération entre pays francophones, comme le dit la Constitution de la République.
L’enseignement est trop important pour être confié à des directeurs de "grande école".

Christian Darlot, chercheur au CNRS

Il est prêt à aggraver la séparation des classes sociales et à effacer la France pour encaisser ses trente deniers. M. Tapie dirige le groupe ESSEC. Que vaut un enseignement commercial auquel préside un tel boutiquier ?

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