"L’État va-t-il brader le patrimoine historique français ?" Par Olivier Le Naire

, par  J.G.
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« Le projet de loi permettant de céder les monuments nationaux aux collectivités territoriales peut laisser craindre un démantèlement du patrimoine. État des lieux, après la censure du texte par le Conseil constitutionnel.

Le Mont-Saint-Michel vendu à un émirat. Le drapeau russe flottant sur Notre-Dame de Paris. Le domaine royal de Saint-Cloud annexé par des cow-boys texans... On n’est pas passé loin du cauchemar ! Certes, personne n’aurait sans doute osé aller jusque-là. Pourtant, tous ces scénarios catastrophe auraient été légalement possibles si les parlementaires n’avaient amendé, au dernier moment, un abracadabrant projet de loi concocté par Matignon. Et finalement retoqué par le Conseil constitutionnel.

Était-ce vraiment une bonne idée d’imaginer, à l’heure des soldes d’hiver, brader les monuments nationaux pour soulager les caisses de l’État dans un pays où, chaque année, des millions de Français se ruent aux Journées du patrimoine ? Sans doute pas. Or rien ne prouve, malgré le tollé, que François Fillon y ait renoncé. Bien au contraire !

L’affaire a éclaté en novembre 2009, lorsque députés et sénateurs ont découvert que le gouvernement avait glissé, dans le projet de loi de finances 2010, l’article 52, stipulant qu’un monument national pouvait être transféré par l’État à une collectivité territoriale. Gratuitement et n’importe quand. Cela avec le simple accord d’un préfet. Pis, selon ce texte initial, ladite collectivité pouvait même, si cela lui chantait, vendre ensuite au prix qu’elle souhaitait ce bâtiment à un opérateur privé. Indignation générale. Au point que Jean-Jacques Aillagon lui-même, ancien ministre de la Culture de Jacques Chirac et président de l’établissement public de Versailles, monta au créneau contre sa tutelle.

Quel paradoxe ! A l’heure où Nicolas Sarkozy s’apprête à créer sa "Maison de l’Histoire" et où Éric Besson prétend lancer les Français sur les traces de leur identité nationale, jamais, depuis Malraux, le statut des lieux de mémoire n’a été si malmené. L’État brade ses biens à tout-va. Et les établissements culturels publics, comme Versailles ou le Louvre, sont plus que jamais soumis aux lois de la rentabilité touristique. "Une dysneylandisation !" tonnent les plus critiques.

Le dossier apparaît d’autant plus explosif qu’il est aussi très politique. Désavoué par Matignon, Frédéric Mitterrand, attaché à la pérennité du patrimoine national, n’aimerait pas rester dans l’Histoire comme le fossoyeur des lois Malraux. Même si, jusqu’ici, son silence fut assourdissant, il n’a pas ménagé sa peine en coulisses pour faire amender, avec l’aide des sénateurs, ce fameux article 52. Et son interview laisse à penser qu’il est bien décidé à se battre.

Quels monuments garder, lesquels transférer ?

Reste à savoir quelle est sa marge de manoeuvre, quand beaucoup affirment qu’il lui a été imposé, par exemple, de céder le domaine royal de Saint-Cloud au département des Hauts-de-Seine, fief de Jean Sarkozy et de Patrick Devedjian, qui lorgnent depuis longtemps sur cette propriété d’exception.

Sur le fond du dossier, la question centrale est simple : comment continuer à entretenir d’innombrables monuments nationaux quand l’État n’a plus les moyens d’assumer seul cette charge ? Faute d’argent, nombre d’églises sont fermées au public - voire détruites - car elles menacent ruine. Sans parler du Panthéon, qui s’effondre ! La tentation est donc grande de lever les garde-fous, afin de se débarrasser de bâtiments publics, même emblématiques, comme ce fut le cas pour l’hôtel de la Marine, à Paris. Mais cela fait-il une politique culturelle ? Évidemment non, surtout quand les réponses à apporter sont complexes.

"On ne peut refuser, par principe, le transfert de certains bâtiments, reconnaît Jacques Legendre, président de la commission culturelle du Sénat. Les régions sont souvent plus aptes que l’État à gérer sur place les monuments." De fait, les collectivités possèdent déjà un patrimoine historique très important, avec, par exemple, la responsabilité de chefs-d’œuvre aussi prestigieux que la saline royale d’Arc-et-Senans (Doubs), classée au Patrimoine mondial de l’Unesco, ou le théâtre antique d’Orange (Vaucluse). Mais quels monuments garder ? Lesquels transférer ? Comment s’assurer que ceux qui partiront ne seront pas revendus dans des conditions opaques par des élus indélicats ? "Il faut se mettre autour d’une table et discuter", insiste le député Nicolas Perruchot (Nouveau Centre). Car le patrimoine peut aussi, parfois, rapporter gros. Une étude du ministère de la Culture a prouvé que 1 euro investi en dégage 20, à terme, si l’on prend en compte les effets induits en matière de tourisme ou d’emploi.

L’avenir est au partenariat public-privé

Il n’est donc pas certain que l’État fasse toujours une affaire en cédant gracieusement ses biens, comme l’explique Isabelle Lemesle, la présidente du Centre des monuments nationaux (CMN) : "Si nous perdons le Mont-Saint-Michel ou les remparts de Carcassonne (voir page 95), qui va compenser le manque à gagner ?" Car au CMN, les lieux rentables servent à financer l’entretien des autres. Or, sauf exception, les collectivités ne sont attirées que par ce qui rapporte, comme par exemple le château du Haut-Koenigsbourg, en Alsace (voir ci-contre). Tous les spécialistes en sont persuadés : l’avenir est au partenariat public-privé. Et l’exemple de la prochaine réhabilitation de l’hôpital Richaud, à Versailles, en lieu de vie quotidienne le prouve.

Jusqu’où les Français sont-ils prêts à payer ?

Mais le meilleur filon à explorer reste encore le portefeuille des Français. "Ils n’ont jamais autant donné qu’en 2009", se félicite Frédéric Néraud, directeur de la Fondation du patrimoine, qui, grâce à des collectes, essentiellement dans les zones rurales, permet, avec le soutien conjugué de l’État, d’aider à restaurer des bâtiments auxquels les Français sont attachés. "Beaucoup sont prêts à payer pour sauver leur église, un moulin, un château, ajoute Frédéric Néraud. On le voit sur le terrain : en période de crise, les gens sont en quête de racines, d’identité. Et contrairement à une idée reçue, le patrimoine est une question très moderne, qui transcende les clivages habituels." Reste à savoir jusqu’où les Français sont prêts à aller pour sauver leur passé collectif. Et humaniser leur avenir. » Olivier Le Naire

Article publié le 05/02/10 par lexpress.fr.

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