L’anglo-américain : la menace radicale qui plane sur l’Europe

, par  J.G.
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George Steiner

« Le génie de l’Europe, c’est ce que William Blake aurait appelé "le caractère sacré du détail infime". C’est celui de la diversité linguistique, culturelle et sociale, d’une mosaïque prodigue qui fait souvent d’une distance négligeable, d’une vingtaine de kilomètres, une division entre deux mondes. En contraste avec l’effroyable monotonie qui sévit de l’Ouest du New Jersey au montagnes de Californie, en contraste avec cette soif de conformité qui fait à la fois la force et le vide de tant d’existences américaines, la carte éclatée, aux divisions souvent absurdes, de l’esprit européen et de son héritage a été d’une inépuisable fertilité. L’expression de Shakespeare "une demeure locale et un nom" identifie un caractère déterminant. Il n’y a pas de "langues mineures". Chaque langue contient, articule et transmet non seulement une charge unique de mémoire vécue, mais encore une énergie élaboratrice de ses temps futurs, une potentialité pour demain. La mort d’une langue est irréparable, elle diminue les possibilités de l’homme. Rien ne fait peser sur l’Europe une menace plus radicale - à la racine - que la progression exponentielle et détergente de l’anglo-américain et l’uniformité des valeurs et de l’image du monde que cet espéranto dévorant apporte avec lui. L’ordinateur, la culture du populisme et le marché de masse parlent anglo-américain des night-clubs du Portugal aux centres commerciaux et aux fast-foods de Vladivostok. L’Europe périra, assurément, si elle ne se bat pas pour ses langues, ses traditions locales et ses autonomies sociales. Si elle oublie que "Dieu réside dans le détail".  »

Extrait du livre "Une certaine idée de l’Europe" de George Steiner, 2004.

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