Un mot dans l’air du temps : « Communauté internationale »

, par  Anne-Cécile Robert, Tribune libre
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« Monsieur Allassane Ouattara, président de la Côte d’Ivoire, reconnu par la communauté internationale ». Cette phrase, apparemment anodine, est martelée par les médias depuis plusieurs semaines. Elle frappe pourtant par son très grand flou. Sans entrer dans la querelle ivoiro-ivoirienne (les méthodes de Laurent Gbagbo sont condamnables), on peut se demander ce que désigne précisément l’expression « communauté internationale ».

En effet, si elle évoque spontanément les Nations unies, cela ne semble pas si simple pour l’ONU elle-même. Ainsi, dans son communiqué du 20 décembre dernier, le Conseil de sécurité écrit-il : « le Conseil de sécurité demande instamment à toutes les parties et acteurs ivoiriens de respecter la volonté du peuple et les résultats du scrutin, attendu que la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et l’Union africaine ont reconnu en M. Alassane Dramane Ouattara le Président-élu de la Côte d’Ivoire ». L’organe des Nations unies paraît ainsi s’abriter derrière les organisations africaines, ainsi catapultées sur le devant de la « communauté internationale ».

En fait, on retrouve souvent dans cette expression, le poids de certains États : celui de la France dans l’affaire ivoirienne ou celui des États-Unis pour ce qui est du Proche-Orient ou de l’Iran. La preuve de ce jeu souvent hypocrite – s’il en fallait une – fut administrée par Washington et Paris lorsqu’ils affichèrent un grand embarras devant l’initiative du Brésil et de la Turquie d’aller négocier avec Téhéran. Il s’agissait d’un plan pacifique de sortie de crise dans le dossier du nucléaire iranien. Le 17 mai, un accord tripartite était signé qui répondait aux exigences de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Cependant, les deux capitales occidentales, prises de court, n’eurent de cesse d’en minimiser la portée et se précipitèrent pour déposer une nouvelle demande de sanction devant le Conseil de sécurité des Nations unies. On voit bien que certaines puissances tiennent à la préséance qui leur assure la direction des affaires mondiales.

Cet exemple montre bien la fiction sur laquelle repose la « communauté internationale » : celle d’une absence de rapports de forces. Or si l’on peut s’accorder sur l’universalisme de certaines valeurs, qu’en Occident on a baptisé « droits de l’homme », la guerre des États-Unis contre l’Irak a montré que les choix politiques ne font pas, quant à eux, l’unanimité. De même, les premiers procès de la Cour pénale internationale (CPI), concernant principalement des Africains, illustrent la réalité des rapports de forces, le respect des droits de l’homme ne s’imposant pas à Washington et à Londres en Irak. De son côté, le Tribunal pénal pour l’ex-Yougoslavie, créé par le Conseil de sécurité de l’ONU, écarte de sa juridiction les crimes commis par l’Alliance atlantique sur le territoire yougoslave.

Dans le même ordre d’idée, la « communauté internationale » se permet de certifier les résultats des élections en Côte d’Ivoire mais on ne lui demande pas son avis quand les États-Unis sont incapables de proclamer un résultat présidentiel en 2000. L’amateurisme observé dans la tenue de ce scrutin aurait pourtant mérité quelques commentaires si on se réfère aux critères utilisés ailleurs… Et que dire de l’attitude de ladite « communauté internationale » face aux élections – effrontément truquées - au Gabon ?

Quand l’expression « concert des nations » a-t-elle disparu de notre vocabulaire ? Elle semble pourtant mieux à même de rendre compte de la réalité d’une société internationale où les États jouent leur carte et tentent, avec plus ou moins de résultat, d’affirmer leur présence et leurs intérêts. Cette réalité, si elle était reconnue, n’empêcherait évidemment pas de soutenir les organes qui poussent à la discussion sur tous les sujets d’intérêt commun – y compris les droits fondamentaux - et aux règlements pacifiques des différends entre puissances. Des lieux où les États peuvent se rencontrer régulièrement pour échanger, voire forger des visions communes, sont nécessaires à la paix du monde. Mais ils seront d’autant plus crédibles qu’ils ne seront pas le paravent de la domination de certaines puissances.

Anne-Cécile Robert

Article également publié dans la lettre n°45 du Groupe République !
http://www.le-groupe-republique.fr

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