Commémorer la Fête de la Fédération ou fédéraliser l’histoire de la Révolution française ?
Le Mouvement fédéraliste français, le Comité La Fayette et le Carrefour des Acteurs Sociaux organisent, le 25 juin prochain, un colloque commémoratif de la Fête de la Fédération du 14 juillet 1790. Colloque très officiel puisque se tenant à l’École militaire. Mais pour une Révolution dont l’objet principal était de fonder un gouvernement civil, éclairé par les droits universels de l’homme et du citoyen, on est en droit de regretter qu’il n’ait pas été organisé sous l’égide de nos instances les plus démocratiques !
Le 14 juillet 1790 commémorait celui de 1789 pour célébrer le soulèvement populaire d’une exceptionnelle puissance qui fit échouer la répression tentée par la monarchie. Une nouvelle irruption populaire aux Journées d’octobre 1789 convainquit le roi d’adopter une attitude conciliante et de sanctionner les décrets de la Nuit du 4 août, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et le principe d’une Constitution en France.
Depuis la révolution de juillet 1789 qui avait vu l’ancien régime s’effondrer comme château de cartes, paysans et citadins le remplaçaient par un pouvoir communal, avec sa garde nationale formée de citoyens pour se défendre du complot aristocratique, comme des pillages de brigands.
L’immense jacquerie de juillet 1789 exprima la volonté des paysans de se libérer du régime féodal : le complot aristocratique désignait ce que la paysannerie connaissait depuis des siècles, la seigneurie rentière, défendue par ses propres milices, parfois aussi par l’armée. Maintenant, l’armée royale avait reculé et la révolution, après avoir ôté au roi sa souveraineté personnelle pour la restituer « à la nation », avait entrepris de lui retirer son épée.
Des fédérations se développent après juillet 1789 et fraternisent avec les villages voisins, ou entre provinces comme, par exemple la Bretagne et l’Anjou en janvier 1790. On se rassemble pour se prêter mutuellement secours, « au nom de l’honneur et de la patrie » et proposer des lois communes en renonçant aux privilèges locaux qui établissaient frontières et péages intérieurs : les fédérés ne se disent plus des provinciaux, mais « des Français ». Certaines fédérations pratiquent le baptême civique : des nouveaux-nés sont baptisés sur l’autel de la patrie. Des mariages civiques suivent et c’est ainsi que le culte de la Raison fut une création de ce peuple en résistance à l’oppression d’une monarchie qui concentrait tous les pouvoirs.
Ces fédérations ritualisent le contrat politique entre les membres de la société et ce que le peuple chérissait et construisait à cette époque, sa souveraineté recouvrée.
En juillet 1790, le roi joue la carte d’une Constitution monarchique, dont il espère qu’elle lui laissera d’importants pouvoirs, comme le lui promettent La Fayette et Mirabeau. La Fête de la Fédération offre l’occasion de faire passer ce choix politique pour une approbation populaire.
C’est une fête des gardes nationales, prévue dans chaque commune et les habitants de l’un et l’autre sexe prêtent le même serment :
« Je jure d’être fidèle à la nation, à la loi, au roi et de maintenir de tout mon pouvoir la Constitution décrétée par l’Assemblée nationale et acceptée par le roi. »
Les organisateurs du colloque du 25 juin établissent un parallèle avec aujourd’hui : la nation de 1790 renverrait au débat sur « l’identité nationale », la loi à une réflexion constitutionnelle, car l’actuelle leur paraît « en lambeaux », et le roi au « pouvoir élyséen, caricature de monarchie ». Ils ont un penchant avoué pour le fédéralisme et sont tentés de l’assimiler avec cette fédération de 1790. La raison est qu’ils n’aiment point le centralisme qualifié de jacobin, ce terme plus que péjoratif réemployé depuis les préparatifs du traité de Maastricht et d’un fédéralisme européen.
Faire de la Fédération de la Révolution de 1789 un préambule fédéraliste est osé, tant il est prouvé que ce n’est pas possible !
Pourquoi le fédéralisme était-il impossible à l’époque révolutionnaire ? Le morcellement de l’ancien régime avec sa législation inégale, avait conduit à penser que le pouvoir législatif devait être formé de députés élus par tous les citoyens si l’on voulait respecter la souveraineté populaire. On voulait une seule assemblée législative et non plusieurs et ce principe fut adopté le 10 septembre 1789.
Le système électoral émanait des assemblées primaires, héritées des États généraux du Moyen-âge, époque où les habitants des deux sexes avaient le droit de vote. En 1789, les habitantes des campagnes avaient conservé ce droit, ce que notre époque, si misogyne, a tant de mal à entendre !
L’assemblée législative vote des lois communes, selon le principe de l’égalité en droits, sous le contrôle des citoyens. Le principe du fideicommis éclairait alors la fonction de député : les citoyens confient un mandat à un commis, mais peuvent le lui reprendre si ce dernier perd sa confiance, car c’est le peuple qui est souverain, non l’élu. Les assemblées primaires sont communales, avec un nombre de députés par département en fonction de la population, et l’élection de l’assemblée législative est directe.
L’esprit du fédéralisme est tout autre puisqu’il morcelle la représentation dans différentes assemblées. Résultat : la volonté du peuple est fragmentée et peut même être contredite d’une chambre à l’autre, ce qui révèle que de telles institutions ne peuvent respecter la souveraineté populaire.
Ce que les fédéralistes appellent centralisme jacobin , c’est bien cette conception et sa pratique du principe de souveraineté du peuple -ce qui éclaire leur refus du principe lui-même.
Différentes formes de fédéralisme ont été pratiquées aux États-Unis, en Allemagne, sous l’ancien régime, dans l’Europe des traités depuis Maastricht. Cette dernière cherche à éviter les décisions des peuples - on l’a vu en 2005 ! Une décision impopulaire est à prendre ? Elle sera attribuée à la Commission de Bruxelles : la responsabilité politique est diluée, le contrôle des citoyens rendu impossible puisqu’il n’est pas institutionnalisé.
On aura compris que le colloque du 25 juin destiné à commémorer la Fête de la Fédération est une tentative de « fédéraliser » l’histoire de la Révolution française ! Tout un programme...
Article publié par Le Groupe République ! : http://www.le-groupe-republique.fr