Le modèle américain d’Hitler. Comment les lois raciales américaines inspirèrent les nazis

, par  J.G.
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Quatrième de couverture :

Allemagne, années 1930 : les nazis préparent leur accession au pouvoir. Dans la perspective des futures lois raciales de Nuremberg, ils s’intéressent tout particulièrement aux politiques ségrégationnistes mises en place aux États-Unis.

Ironie de l’histoire, les nazis estimeront que la politique américaine va trop loin, notamment avec la loi « une seule goutte suffit » (ou « One-Drop Rule ») qui leur permet de classer les Africains-américains en citoyens de seconde classe. Les lois raciales nazies ont-elles été inspirées par ce « modèle américain » ?

L’auteur, James Whitman, répond par l’affirmative, ayant mené une enquête détaillée sur l’impact américain lors de la mise en place des principales lois de Nuremberg, pièces maîtresses de la ségrégation antijuive du régime nazi. S’opposant à l’idée généralement défendue par les historiens que la politique de répression américaine n’aurait aucun lien significatif avec les lois raciales allemandes, l’auteur démontre dans cet essai que les nazis ont, au contraire, montré un grand intérêt, réel et soutenu, que ce modèle leur a servi de base dans l’élaboration de leur propre système de ségrégation.

Cet essai nous fait comprendre, au-delà de l’histoire du Troisième Reich, l’influence de l’Amérique sur les pratiques racistes dans le monde.

Livre de James Q. Whitman, professeur de droit comparé à la Fondation Ford à la Yale Law School. Édité par Armand Colin, 2018. Ouvrage publié avec le concours du Centre National du Livre.


Avant-propos de James Q. Whitman à l’édition française, p. 7 à 10 :

« Ce livre a été écrit avant l’élection américaine de 2016 - avant l’imprévisible victoire de Donald Trump, avant le retour à la Maison-Blanche de ce quelque chose qui ressemble indéniablement à l’ancienne suprématie blanche américaine. En fait, j’ai reçu les épreuves le jour de l’élection avec la certitude (comme la plupart de mes connaissances) que Madame Clinton serait notre prochaine présidente. Cela ne s’est pas réalisé.

Ce livre raconte une histoire qui a refusé de rester dans l’oubli.

Pour les lecteurs français, c’est sans doute un livre important de par la présence dans ses pages de la France en filigrane. Comme on peut le voir, au début des années 1930, les penseurs nazis regardaient avec une admiration particulière les États-Unis - et la France avec un certain mépris. Bien sûr, la France connut ses propres turpitudes. Mais au début des années 1930, elle s’ancrait dans une tradition républicaine qui représentait tout ce que les nazis détestaient le plus. Lorsqu’un penseur nazi a fait l’éloge de John C. Calhoun, suprématiste blanc américaine et esclavagiste, il l’a félicité comme “un guerrier luttant contre les idées de 1789”. Quand le bureau nazi de la politique raciale faisait l’éloge des lois américaines interdisant les mariages raciaux mixtes, il a mis en avant le cas de Jack Johnson, le champion de boxe noir américain, lequel a été contraint de fuir les États-Unis avec sa femme et de s’installer en France car le mariage mixte était considéré comme un crime. Hitler, ainsi que d’autres racistes d’extrême droite, ont salué la législation raciste américaine sur l’immigration - alors que les observateurs français l’ont condamnée. Lorsque les réfugiés fuyant le régime barbare de l’Allemagne ont dénoncé la “folie raciale”, c’est de France qu’ils ont écrit, à l’instar du fameux critique littéraire d’Hitler, Lion Feuchtwanger, qui écrivit depuis son exil à Sanary-sur-mer.

Cela n’empêche pas bien sûr qu’il y ait eu des montées inquiétantes en France. Il faut cependant souligner que des deux grandes traditions républicaines ayant vu le jour au XVIIIe siècle, la française et l’américaine, c’est cette dernière que les nazis considérèrent la plus intéressante et admirable. Dès son avènement, le républicanisme américain était un républicanisme pour les “hommes blancs libres”, selon la déclaration du Congrès en 1790. C’est pour cela qu’un penseur nazi a pu écrire qu’il voyait en la république américaine le “principal appui” à “la lutte des Aryens pour la domination mondiale”. On pourrait en dire autant des républiques apparues plus tard dans l’Empire britannique qui se concevaient elles-mêmes comme “des démocraties pour les hommes blancs libres”. Cela a été le cas en Australie, en Afrique du Sud...

En revanche, la tradition française républicaine s’est engagée très tôt pour les “droits de l’homme” universalistes, rejetant par là même la suprématie de la race blanche prônée au États-Unis - ce qui en faisait, aux yeux des nazis, le régime idéologique honni du Troisième Reich. Quand il s’est agi de créer un État racial au début des années 1930, les nazis imaginaient qu’ils s’alliaient aux Anglo-Américains contre la France.

Bien sûr, ce serait une erreur de valider cette vision nazie du monde. Tout le monde reconnaît que la France a parfois trahi ses valeurs républicaines. Néanmoins, on peut étudier les différences entre les traditions républicaines française et américaine telles que les voyaient les nazis. Les nazis ont peut-être mal compris les États-Unis et la France, mais ils n’ont pas tort de penser que la tradition américaine républicaine a posé moins d’obstacles, au début du XXe siècle, que la tradition républicaine française. Oui, la France a parfois trahi ses valeurs républicaines pendant l’entre-deux-guerres. Il importe de voir néanmoins de quelles valeurs il s’agit.

Le contraste entre ces deux traditions républicaines peut encore construire l’histoire au cours de la terrifiante crise contemporaine des valeurs libérales occidentales.

Donald Trump est arrivé au pouvoir dans une Amérique dont la tradition juridique paraît moins attachée aux valeurs universalistes des “droits de l’homme” que la tradition juridique française.

Cela ne signifie pas que Trump et son équipe vont nécessairement gagner, pas plus que l’universalisme est pérenne en France.

Mais cela veut peut-être dire qu’un Trump américain a moins d’obstacles à surmonter. »

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