Appel citoyen à des États-généraux de la santé

, par  .Yannick Bosc, Tribune libre
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Nous citoyens, habitants de France, soutenons l’appel lancé par les médecins hospitaliers et les cadres de santé : Hôpital : mille signatures et une urgence. La dégradation des conditions de travail des personnels hospitaliers a un impact sur nos vies, dans leurs moments les plus délicats lorsque nous sommes le plus fragile : accidentés, frappés par la maladie, grabataires, en fin de vie. La qualité des soins et l’attention dont nous avons besoin sont de plus en plus menacées malgré le dévouement et l’humanité des personnes à qui nous confions nos vies, nous laissant souvent nous et nos proches dans de terribles détresses.

La souffrance au travail des médecins, infirmiers, aides-soignants et personnel paramédical nous concerne tous. Les cris d’alarmes ne cessent de se multiplier dans tous les secteurs : urgences, pédiatrie, gériatrie…

Le suicide d’un neurochirurgien sur son lieu de travail dans un bloc opératoire du centre hospitalo-universitaire de Grenoble a conduit la ministre des solidarités et de la santé à commander un rapport sur les conditions de travail dans cet hôpital. Ce rapport met en évidence des services sous tension, des situations de conflits, de maltraitance et de souffrance au travail liés aux modes de gestion et de réorganisation des services imposés par le haut, sous pression budgétaire et sans concertation.

Nous sommes attachés à l’hôpital public et à notre système social de santé nous garantissant l’accès aux avancées médicales de pointe. Pourtant, certains services de soins sont vétustes, frôlant l’insalubrité y compris dans certains hôpitaux des plus grandes villes de France. Cette situation est indigne de notre histoire collective.

Notre système social de santé est notre bien commun. Son devenir ne peut se décider sans nous. Nous refusons de voir ses principes humanistes, de solidarité et d’accès pour tous se déliter en raison de logiques de rentabilité, de tarifications et d’organisation dogmatiques et inadaptées.

Nous ne pensons pas qu’il existe une solution simple mais nous sommes persuadés que la sauvegarde de notre système de santé relève d’un choix de société qui nécessite un grand débat national. L’hôpital est le lieu à partir duquel l’ensemble de notre système de santé peut être repensé : Son organisation, son financement, son mode de gouvernance, la place et le lien avec la médecine de ville, la santé communautaire, les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, lieux là aussi de grande souffrance humaine. C’est pourquoi, nous appelons à l’organisation d’états généraux de la santé dans toutes ses dimensions et sur l’ensemble du territoire national. Ce grand débat démocratique est impératif et urgent.

L’APPEL CITOYEN À DES ÉTATS-GÉNÉRAUX DE LA SANTÉ A ÉTÉ RÉALISÉ À L’INITIATIVE DE : Philippe Abecassis, Économiste | Yannick Bosc, Historien |
Alima el Bajnouni, Juriste | Nathalie Coutinet, Économiste | Jean-Paul Domin,
Économiste | Fabienne Orsi, Économiste | Frédéric Pierru, Politiste.

SIGNER L’APPEL


À PROPOS DE

 Pourquoi cet appel ?

La crise de l’hôpital public, des hôpitaux de proximité, du secteur médico-social nous concerne tous et constitue le témoin le plus criant de la nécessité d’une réappropriation citoyenne des questions de santé.

Nous avons lancé cet appel peu de temps avant l’annonce du premier ministre d’un plan de transformation du système de santé. Ce plan doit être présenté à l’été 2018 et dans l’intervalle le premier ministre a indiqué qu’une réflexion serait menée ainsi qu’une concertation nationale. Nous demandons : Avec qui cette réflexion et cette concertation seront organisées ? Qui mènera la réflexion ? Qui sera concerté ? Dans quelle mesure les résultats de cette concertation seront pris en compte ?

Notre appel citoyen s’impose plus que jamais. Nous avons écrit « notre système social de santé est notre bien commun. Son devenir ne peut se décider sans nous ». Ce point est important, essentiel même. Cela signifie que nous voulons reprendre notre rôle de citoyens dans les choix qui sont fait dans le domaine de la santé et de l’hôpital en particulier. Nous sommes depuis trop longtemps dépossédés de ce sujet majeur de société et les politiques/réformes des gouvernements successifs depuis plusieurs années ont été menées en rupture totale avec les réalités de terrain et sans le moindre débat démocratique.

Les choix de restrictions budgétaires couplés à l’imposition de mode dit de « gouvernance » importé du secteur privé et imposé par le « haut », associé à des logiques administratives lourdes et complètement déconnectées du soin et du soucis de la personne ont créé une situation complètement folle et de fuite en avant dont les répercussions les plus visibles sont celles d’une détérioration des conditions de travail du personnel hospitalier avec des conséquences graves sur la qualité du soin et de la prise en charge des personnes.

- Depuis plus de 15 ans, les chercheurs, économistes, sociologues, ergonomes (cette liste n’étant pas exhaustive) déplorent que le travail des soignants soit le grand oublié des restructurations et réformes hospitalières. Toutes les enquêtes convergent sur ce point.
- Tous les indicateurs sont au rouge : hausse structurelle du taux d’absentéisme, turn over accéléré entre les services, départs anticipés en retraite,…
- Bien évidemment, les acteurs hospitaliers ne sont pas restés passifs : depuis les années 2000, on a assisté à la multiplication de mobilisations, pour certaines sporadiques, pour d’autres de plus grande ampleur, comme en 2009 ou encore en 2017. Les appels (au secours) se sont empilés. Le dernier en date est celui des 1000 médecins et soignants ou cadres de santé, …
- Malgré tous ces signaux d’alerte, sur fond de déni des décideurs administratifs et politiques, les politiques publiques semblent être mises en pilote automatique, les alternances politiques n’ayant que peu d’impact :
- Le resserrement de la contrainte budgétaire est constant depuis plus de 10 ans
- La T2A a continué de se déployer dans un budget de plus en plus contraint : il faut faire certes de plus en plus de séjours, avec des moyens humains qui ne suivent pas, mais l’année suivante les tarifs baissent pour « rester dans l’enveloppe ». Les soignants ont l’impression d’être des hamsters condamnés à tourner de plus en plus vite dans leur roue
- L’emploi, comme les budgets destinés aux missions d’intérêt général (accueil des plus précaires,…), ont servi de volets d’ajustement budgétaire
- Au final, l’hôpital est confronté à une logique entropique ou de chaos croissant : la démotivation des personnels et la hausse de l’absentéisme font reposer la charge de la productivité accrue sur quelques-uns, épuisés, au bord du burn out.
- Le pire est que le gouvernement est en train d’élargir cette logique mortifère vers le secteur chroniquement sous financé qu’est le médico-social (EHPAD).
- Au final, tous les acteurs disent que l’on arrive à l’os, que non seulement la souffrance au travail devient l’ordinaire du soin mais qu’en plus ils ont l’impression de faire du sale boulot, ce qui, pour des gens qui se sont engagés dans cette voie par vocation et goût de l’autre, est profondément délétère sur le plan psychologique (« charge éthique et mentale » du travail).
- En bout de course ce sont les personnes les plus fragiles, gravement malades, les personnes âgées dépendantes qui pâtissent de cette situation et qui souffrent d’une dégradation des conditions de prise en charge.

 Pourquoi partir de l’hôpital ?

Notre appel ne se veut absolument pas « hospitalocentré ». Au contraire, nous pensons que la crise hospitalière et des EHPAD est un révélateur d’une crise systémique ou globale du système de santé et qu’il convient donc de tout repenser à la fois. On ne résoudra pas cette crise en posant des rustines compartiment par compartiment.

Nous avons voulu emboîter le pas à l’appel des 1000, médecins, soignants, cadres de santé, pour soutenir leur démarche tout en proposant d’aller plus loin en ouvrant un grand débat démocratique sur la santé.

L’hôpital est en effet l’épicentre de la crise du système de santé, mais c’est aussi une institution républicaine dont les principes de service public, de solidarité, et de dévouement devraient irriguer l’ensemble de la réorganisation du système de santé que nous appelons de nos vœux.

- L’hôpital est le seul maillon public de l’offre de soins, plébiscité par la population, à côté d’une médecine de ville relevant majoritairement du modèle libéral et d’un secteur privé de cliniques parmi les plus importants et les plus concentrés d’Europe (les trois premiers groupes représentent 34% des 14,5 milliards de chiffre d’affaires du secteur).
- L’hôpital est le compartiment de l’offre de soins dont la dépense est la plus socialisée (la Sécurité sociale rembourse 91% des soins hospitaliers contre 63% des soins de ville).
- L’Hôpital est devenu depuis 15 ans le lieu d’ajustement de tous les dysfonctionnements de l’offre de soins en amont comme en aval.
- En amont, la médecine de ville peine à se réorganiser – même s’il y a des évolutions encourageantes – pour devenir un véritable service public de soins primaires accessible à tous et en tout point du territoire. Ainsi, la ministre ne cesse de parler de « virage ambulatoire ». Il s’agit en fait d’un « mirage ambulatoire » tant la réalité est inverse. On assiste en effet à un transfert d’activité de la ville vers l’hôpital car les assurés sociaux peinent de plus en plus à trouver un médecin, surtout spécialiste, qui, de plus, soit en secteur conventionné. Beaucoup de médecins ne font plus de garde, ne se déplacent plus au domicile des patients. On les retrouve alors aux urgences des hôpitaux publics.
- En aval, le secteur du médico-social et des EHPAD est chroniquement sous-financé, entraînant un manque criant de moyens humains et matériels… Il en résulte pour les services de soins aigus le phénomène des bed blockers, ces patients âgés souvent polypathologiques à qui l’on ne parvient pas à trouver une place, malgré le temps passé au téléphone par des soignants qui ont autre chose à faire…
- Enfin, la réforme du financement hospitalier, la tarification à l’activité (T2A) a renforcé le marasme en ayant une influence néfaste à la fois sur les soignants et les malades. Les premiers ont vu l’intensité du travail se renforcer et leurs conditions de travail se dégrader de façon considérable. Les seconds ne peuvent que déplorer la dégradation des conditions d’hospitalisation et la réduction croissante des séjours. L’hôpital est devenu inhospitalier pour les malades et les soignants.

Pour résumé, la crise hospitalière est l’expression locale d’une désorganisation et d’une inadaptation beaucoup générale du système de santé. Ce n’est pas en faisant une énième réforme centrée sur le seul segment hospitalier que l’on attaquera les racines des maux.

 Pourquoi des États Généraux de la Santé ?

Il nous faut être clair : le terme « États-Généraux » – avec celui du « Grenelle » – est devenu un terme passe-partout, récupéré technocratiquement pour préparer une réforme dont les grands axes sont déjà formulés avant qu’ils aient eu lieu. Nous ne voulons absolument pas de ce type de grand-messe cadrée et pilotée d’en haut et dont les participants sont soigneusement filtrés en fonction de leur « représentativité » ou de leur « responsabilité ».

Tout au contraire, nous souhaitons retrouver l’inspiration originelle des États Généraux, ceux de 1789, un moment de notre histoire où le peuple s’est réapproprié la souveraineté et s’est demandé dans quelle société il voulait vivre. Notre appel est citoyen au sens où il ambitionne de donner la parole à tous, aux citoyens « ordinaires », à celles et ceux qui font l’expérience concrète du système de soins. Il est temps que le terme de démocratie sanitaire, souvent galvaudé, prenne effectivement un sens aux yeux de la population.

Les réformes, pour l’essentiel motivées par des considérations budgétaires, qui se sont empilées depuis 20 ans n’ont guère pris en compte le travail réel des soignants, l’expérience concrète des patients. Les débats ont été confisqués par les experts, les hauts fonctionnaires, les représentants des groupes d’intérêt et les décideurs politiques. Il est temps que le système de santé, confronté à des défis sans précédent (vieillissement, maladies chroniques,…), soit l’objet d’une réappropriation citoyenne. Notre système de santé est à la croisée des chemins.

Soit l’on persévère dans la logique actuelle, et la privatisation rampante continuera sur fond d’aiguisement de la crise du système de soins… Pire cette crise alimentera le procès de privatisation en lui fournissant un prétexte en or : « vous voyez, le public fonctionne mal alors calons nous sur le privé » : c’est ainsi que la ministre envisage de publier un vieux décret qui autorisera le licenciement de fonctionnaires hospitaliers… Plus généralement l’hôpital deviendra un Établissement de santé privé d’intérêt collectif (ESPIC) en concurrence avec les cliniques et d’autres segments de l’offre de soins. Cette évolution est mortifère pour tout le monde : malades, soignants, budgets publics.

Soit l’on se donne le temps d’une réflexion et d’une délibération collectives afin de discuter des principes fondamentaux qui doivent sous-tendre notre système, prendre la mesure des défis auquel ce dernier s’affronte et réfléchir aux meilleurs moyens de les relever, et se donner des perspectives de politique publique réalistes mais déterminées pour faire évoluer le système de santé dans le sens qui aura été souhaité.

Les signataires

Cet appel a d’ores et déjà été signé par des personnes très diverses. issues d’univers variés, dont un très grand nombre de citoyens, de personnalités notoires, des intellectuels, des chercheurs spécialisés des artistes.

Il a fait l’objet d’une première publication dans le journal libération le 12 février 2018 nous le mettons en ligne l’appel sur ce site dédié pour recueillir le maximum de signatures avant de convoquer une assemblée générale des signataires afin que chacun puisse s’exprimer sur les objectifs à donner à ces États-Généraux et que l’idée de les organiser sur le territoire national soit discutée ainsi que la manière de le faire. Des correspondants locaux, partout en France, pourraient ensuite initier la démarche que nous appelons de nos vœux.

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