"Hashim Thaçi, le gros poisson de Pristina". Par Paul Lewis

, par  J.G.
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« Alors que le Conseil de l’Europe est sur le point de réclamer une enquête sur les affaires troubles dans lesquelles tremperait Hashim Thaçi, Premier ministre du Kosovo, le Guardian a obtenu des documents classifiés de l’OTAN qui contiennent d’autres révélations choquantes sur un allié choyé de l’Occident.

Hashim Thaçi, Premier ministre du Kosovo, serait l’un des “plus gros poissons” du crime organisé dans son pays, à en croire des rapports des renseignements militaires occidentaux. Ces documents de l’OTAN, classés “Secret”, montrent que les Etats-Unis et d’autres puissances occidentales qui soutiennent le gouvernement du Kosovo ont depuis des années connaissance de ses liens avec le crime. Ils identifient un autre politicien kosovar de haut rang comme entretenant des connexions avec la mafia albanaise.

Ces documents, marqués du sceau “USA KFOR”, fournissent des informations détaillés sur les réseaux du crime organisé au Kosovo, informations fondées sur les rapports de contacts et de services de renseignements occidentaux. Ils dépeignent l’extension géographique des bandes criminelles du Kosovo, et donnent des détails sur leurs liens familiaux et professionnels supposés. Le 25 janvier, le Conseil de l’Europe devrait exiger officiellement qu’une enquête soit ouverte sur les affirmations faisant de Thaçi le chef d’un réseau “de type mafieux” responsable de trafic d’armes, de stupéfiants et d’organes pendant et après la guerre du Kosovo en 1998-1999.

Le soutien sans faille des puissances de l’OTAN

Les allégations portant sur le trafic d’organes proviennent d’une enquête officielle publiée en décembre dernier par Dick Marty, rapporteur pour les droits de l’homme. Il accusait Thaçi et d’autres responsables de l’UÇK, l’armée de libération du Kosovo, d’être liés au crime organisé. Dans son rapport, il assurait également que Thaçi contrôlait "par la violence" le trafic d’héroïne, et confirmait apparemment la rumeur inquiétante selon laquelle, à l’issue du conflit avec la Serbie, ses proches avaient dirigé un gang qui avait assassiné des prisonniers serbes pour vendre leurs reins au marché noir.

Le Kosovo a été un protectorat des Nations unies de la fin de la guerre jusqu’en 2008, quand la province a proclamé officiellement son indépendance vis-à-vis de la Serbie. Thaçi, réélu Premier ministre le mois dernier, a bénéficié d’un soutien sans faille de la part des puissances de l’OTAN. Son gouvernement nie le rapport de Marty, qu’il rejette comme une conjuration serbe et russe visant à déstabiliser le jeune Etat.

Mais les derniers documents en date viennent, eux, de la KFOR, la force de maintien de la paix sous commandement de l’Alliance, chargée de la sécurité au Kosovo. Ce sont des unités militaires de la KFOR qui étaient intervenues durant la guerre du Kosovo en 1999, et qui avaient contribué à mettre un terme à une campagne de nettoyage ethnique déclenchée par les forces serbes de Slobodan Milosevic. Dans les documents, Thaçi est présenté comme le membre d’un triumvirat de "plus gros poissons" des cercles de la criminalité organisée.

Xhavit Haliti "le vrai patron" sur la liste noire de plusieurs pays

Il en va de même de Xhavit Haliti, ancien chef de la logistique de l’UÇK, aujourd’hui fidèle allié du Premier ministre. Les rapports de renseignement de l’OTAN suggèrent qu’outre son rôle politique de premier plan, Haliti est aussi un baron du crime qui se déplace armé d’un 9 mm de fabrication tchèque et jouit d’une formidable influence sur le Premier ministre.

Le désignant comme "le pouvoir derrière Hashim Thaçi", un rapport affirme que Haliti entretient des liens étroits avec la mafia albanaise et le KshiK, les services secrets kosovars. Il laisse entendre que Haliti aurait "plus ou moins géré" un fonds pour la guerre du Kosovo à la fin des années 90, et qu’il avait profité personnellement de ce fonds avant que les sources de liquidités ne se tarissent. "Par conséquent, Haliti s’est tourné vers le crime organisé à grande échelle", déclare le rapport.

Haliti est "fortement impliqué dans la prostitution, le trafic d’armes et de stupéfiants". Il occupe par ailleurs les fonctions de conseiller politique et financier auprès du Premier ministre mais, d’après ce document, on pourrait semble-t-il le considérer comme "le vrai patron". Haliti se sert d’un faux passeport pour se rendre à l’étranger car il est sur la liste noire de plusieurs pays, dont les Etats-Unis. Il est lié aux intimidations dont auraient fait l’objet des opposants politiques au Kosovo, et à deux meurtres supposés remontant à la fin des années 90.

Un adversaire défiguré à l’aide d’une bouteille et d’un tournevis

L’une des victimes était un adversaire politique retrouvé "mort à la frontière kosovare", apparemment après une dispute. La description de l’autre meurtre supposé — un jeune journaliste de Tirana, la capitale albanaise — fait aussi nominalement référence au Premier ministre, sans l’accuser cependant directement. Haliti, en revanche, y serait lié : "AliUka, journaliste de Tirana qui soutenait le mouvement indépendantiste mais le critiquait dans ses écrits. Uka a été brutalement défiguré à l’aide d’une bouteille et d’un tournevis en 1997. A l’époque, il partageait un logement avec Hashim Thaçi."

Haliti est également cité dans le rapport de Marty, ainsi qu’une liste d’alliés proches de Thaçi, et il aurait commandité — voire, dans certains cas, personnellement supervisé — "des assassinats, des détentions, des passages à tabac et des interrogatoires" pendant et immédiatement après la guerre.

Il ne nous a pas été possible de joindre Haliti. Toutefois, dans un entretien accordé à Balkan Insight la semaine dernière, il a rejeté le rapport de Marty, selon lui à visée "politique" et conçu pour "discréditer l’UÇK". "Ce rapport ne m’a pas surpris. Je suis l’affaire depuis des années, et le contenu de ce rapport est politique", a-t-il dit. Mais, a-t-il reconnu, il était probable que le Conseil de l’Europe voterait une résolution favorable à l’ouverture d’une enquête menée par EULEX, mission civile destinée à promouvoir l’Etat de droit au Kosovo avec l’appui de l’UE.

Réagissant aux allégations des rapports de renseignements de l’OTAN, un porte-parole du gouvernement kosovar a déclaré : "Ces allégations circulent depuis plus de dix ans, leur dernière mouture en date se trouvant dans le rapport de Dick Marty. Elles reposent sur des rumeurs et la désinformation intentionnelle des services serbes. Quoi qu’il en soit, le Premier ministre a appelé à une enquête d’EULEX, et a régulièrement fait part de sa volonté de coopérer pleinement avec les autorités judiciaires au sujet de ces allégations scandaleuses et calomnieuses. Le gouvernement du Kosovo continue de soutenir le renforcement de l’Etat de droit au Kosovo, et nous sommes impatients de pouvoir collaborer avec nos partenaires internationaux afin de veiller à ce que la criminalité n’ait pas sa place dans le développement du Kosovo." » Paul Lewis

Source : The Guardian, Report identifies Hashim Thaci as ’big fish’ in organised crime, le 24/01/11.


En finir avec le mythe de la "guerre juste"

Les violences attribuées par le rapport Marty à l’Armée de libération du Kosovo (UÇK) vont à l’encontre de l’affirmation de l’ancien Premier ministre britannique Tony Blair selon lequel la guerre menée par l’OTAN contre la Serbie en 1999 était "une bataille entre le bien et le mal ; entre la civilisation et la barbarie ; entre la démocratie et la dictature", affirme dans The Guardian le spécialiste des Balkans Neil Clark. "C’était une fiction à laquelle de nombreux progressistes ont cru", ajoute-t-il. "Mais si les Occidentaux avaient voulu agir au nom de la morale dans les Balkans et protéger les civils au Kosovo, il y avait d’autres solutions que de faire la guerre aux Serbes, et d’autres options que de soutenir l’UÇK – les plus violents parmi les partis kosovars. Ils auraient pu soutenir de véritables négociations multipartites, ou proposer de lever les sanctions contre Belgrade en échange d’une solution pacifique pour le Kosovo". L’intervention de l’OTAN en Yougoslavie, conclut Clark, était tout aussi immorale que la guerre contre l’Irak de 2003. "Mais, alors que cette dernière a été discréditée, il est d’autant plus urgent pour les tenants de ’l’interventionnisme de gauche’ d’affirmer que le Kosovo a tout de même été un succès. Le rapport du Conseil de l’Europe sur les crimes de l’UÇK rend cette position beaucoup plus difficile à soutenir". Source

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