André Malraux et son hommage à la Grèce

, par  J.G.
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Extrait du discours d’André Malraux prononcé à Athènes le 28 mai 1959 :

« On ne saurait trop le proclamer : ce que recouvre pour nous le mot si confus de culture -l’ensemble des créations de l’art et de l’esprit-, c’est à la Grèce que revient la gloire d’en avoir fait un moyen majeur de formation de l’homme. C’est par la première civilisation sans livre sacré, que le mot intelligence a voulu dire interrogation. L’interrogation dont allait naître la conquête du cosmos par la pensée, du destin par la tragédie, du divin par l’art et par l’homme. Tout à l’heure, la Grèce antique va vous dire :

"J’ai cherché la vérité, et j’ai trouvé la justice et la liberté. J’ai inventé l’indépendance de l’art et de l’esprit. J’ai dressé pour la première fois, en face de ses dieux, l’homme prosterné partout depuis quatre millénaires. Et du même coup, je l’ai dressé en face du despote."

C’est un langage simple, mais nous l’entendons encore comme un langage immortel.

Il a été oublié pendant des siècles, et menacé chaque fois qu’on l’a retrouvé. Peut-être n’a-t-il jamais été plus nécessaire. Le problème politique majeur de notre temps, c’est de concilier la justice sociale et la liberté ; le problème culturel majeur, de rendre accessibles les plus grandes oeuvres au plus grand nombre d’hommes. Et la civilisation moderne, comme celle de la Grèce antique, est une civilisation de l’interrogation ; mais elle n’a pas encore trouvé le type d’homme exemplaire, fût-il éphémère ou idéal, sans lequel aucune civilisation ne prend tout à fait forme. Les colosses tâtonnants qui dominent le nôtre semblent à peine soupçonner que l’objet principal d’une grande civilisation n’est pas seulement la puissance, mais aussi une conscience claire de ce qu’elle attend de l’homme, l’âme invincible par laquelle Athènes pourtant soumise obsédait Alexandre dans les déserts d’Asie : "Que de peines, Athéniens, pour mériter votre louange !" L’homme moderne appartient à tous ceux qui vont tenter de le créer ensemble ; l’esprit ne connaît pas de nations mineures, il ne connaît que des nations fraternelles. La Grèce, comme la France, n’est jamais plus grande que lorsqu’elle l’est pour tous les hommes, et une Grèce secrète repose au coeur de tous les hommes d’Occident. Vieilles nations de l’esprit, il ne s’agit pas de nous réfugier dans notre passé, mais d’inventer l’avenir qu’il exige de nous. Au seuil de l’ère atomique, une fois de plus, l’homme a besoin d’être formé par l’esprit. Et toute la jeunesse occidentale a besoin de se souvenir que lorsqu’il le fut pour la première fois, l’homme mit au service de l’esprit les lances qui arrêtèrent Xerxès. Aux délégués qui me demandaient ce que pourrait être la devise de la jeunesse française, j’ai répondu "Culture et courage". Puisse-t-elle devenir notre devise commune -car je la tiens de vous.

Et en cette heure où la Grèce se sait à la recherche de son destin et de sa vérité, c’est à vous, plus qu’à moi, qu’il appartient de la donner au monde. »

Source : La Politique, la culture : discours, articles, entretiens (1925-1975), édition Gallimard, collection Folio essais, 1996, p. 256.

P.S. :

- En ligne, l’intégralité du discours prononcé à Athènes par Mr André Malraux, Ministre d’Etat du Gouvernement de la République Française.
- André Malraux : "La culture européenne n’existe pas. Il a existé certes, à quelques moments, une culture vaguement européenne [...] Mais ce que l’on entend aujourd’hui par Europe n’a rien de ce qui caractérisait cette époque et ne possède nullement une culture homogène". Source : A. Malraux, "Entretien avec M. Otero Silva", Le Monde diplomatique , août 1999.

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